Une démarche totalement erronée; un pas dans la mauvaise direction. Ou encore un nouveau coup dur pour l’économie tunisienne, un mal nécessaire… Le moins que l’on puisse dire est que les experts et analystes en économie sont partagés sur la décision prise récemment par la Banque centrale de Tunisie (BCT) de faire relever de manière significative son taux directeur. Et ce, en pleine crise économique; et alors que les catégories sociales les plus fragiles voient leur pouvoir d’achat s’effriter comme une poignée de sable.
En effet, il convient de rappeler que pour « contrecarrer les tensions inflationnistes prévues et surtout afin de freiner une accélération de cette inflation », le conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a décidé, mardi 17 mai 2022, de relever le taux directeur de la BCT de 75 points de base, le portant à 7%. Cela va se traduire « par un relèvement des taux des facilités de dépôt et de prêt marginal à 6 et à 8% », précise un communiqué émanant de la BCT.
Premier constat. Si les taux directeurs augmentent de 75 points de base, les taux d’intérêt des banques commerciales grimpent automatiquement. Résultat: le remboursement des crédits, notamment personnels, va augmenter également. Et qui est le dindon de la farce? Le citoyen lambda qui payera la facture salée!
Aram Belhaj: « Une démarche totalement erronée »
« Augmenter le taux directeur pour lutter contre l’inflation est une fausse démarche qu’a prise la Banque centrale de Tunisie (BCT). Car l’inflation n’est pas seulement due à des effets internes et spécifiques à la situation interne du pays. Mais elle est aussi tributaire des changements géopolitiques en cours ». C’est ce qu’a expliqué l’expert en économie, Aram Belhadj, lors de son intervention, hier mercredi 18 mai 2022, sur les ondes de Mosaïque FM.
Et d’ajouter: « Cette démarche est totalement erronée. Puisque l’inflation est essentiellement due à des contraintes externes, comme l’a avoué la BCT d’ailleurs. Toutefois, il est vrai que les facteurs internes comme la masse monétaire comptent. Mais la cause essentielle dans ce cas est la crise russo-ukrainienne. »
Et de conclure: « Augmenter le taux directeur de la sorte n’abaissera pas l’inflation. Cependant, cela impactera négativement la consommation et l’investissement. »
Maher Belhaj: « Un nouveau coup dur pour l’économie tunisienne »
Pour le consultant et l’expert en économie et en finance, Maher Belhadj, « cette décision est expliquée principalement par l’anticipation de pressions inflationnistes à la prochaine période; soit l’inflation interne et externe. Ainsi que la situation financière et économique mondiale sévère où le TMM pourrait atteindre 7,75% ».
« Il s’agit bien d’un mal nécessaire, mais aussi d’un nouveau coup dur pour l’ensemble de l’économie tunisienne, les ménages, et l’Etat, tous fortement endettés. De même, les institutions publiques et privées vont supporter de lourdes charges financières durant la période à venir. A savoir: l’inflation interne et externe; l’augmentation salariale; les charges sociales; la croissance des indices des prix; et la dépréciation du dinar. D’ailleurs, c’est le peuple tunisien qui va souffrir davantage; et ce, sans toucher au marché parallèle ni aux importations abusives ». Ainsi, s’est-il exprimé dans une déclaration accordée hier à nos confrères d’Univers News.
Ezzeddine Saïdane: « La BCT fait de la politique »
Un avis en partie partagé par l’économiste, Ezzeddine Saïdane. Car, il estime que « l’augmentation du taux d’intérêt directeur est un pas dans la mauvaise direction. Et cela compliquera davantage la situation économique et financière en Tunisie ».
En effet, selon son analyse lors de son intervention, hier mercredi sur Jawhara FM, « le relèvement du taux d’intérêt directeur aura néanmoins un impact négatif sur le citoyen et les entreprises économiques. Il aura également des répercussions sur les emprunteurs; ceux qui auront à payer des tranches plus importantes au titre des crédits contractés auprès des banques, qu’ils soient anciens ou nouveaux emprunts ».
« Les seules bénéficiaires de cette décision sont les banques tunisiennes. En effet, la Banque centrale a aggravé davantage la situation, car elle est en train de faire de la politique », conclut sévèrement M. Saidane.
Mohsen Hassen: « La BCT a sifflé la fin de la récréation »
Mais ces avis alarmistes ne sont pas partagés par l’ancien ministre du Commerce Mohsen Hassen. Lequel, dans une interview accordée hier mercredi à notre confrère francophone Le Temps, estime que « la guerre contre l’inflation doit être l’affaire de tout le monde (BCT et gouvernement) ». Et que la récente décision de la Banque centrale a « sifflé la fin de la récréation ».
Il rappelle à cet égard que l’économie mondiale a subi deux chocs importants assez graves: la crise de la COVID et la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ces deux chocs engendrant une vague d’effets inflationnistes. « Notre pays, comme d’autres pays du monde, a subi l’impact des deux crises. Mais avec une troisième crise liée à la situation politique et à des causes structurelles ».
Alors pour combattre l’inflation galopante, la BCT a bien fait d’augmenter son taux directeur, estime l’ancien ministre du Commerce. « Cela pourrait être la solution. Le résultat immédiat, c’est l’augmentation des différents taux du crédit bancaires (TMM…). Le coût de l’emprunt devient excessif. Par conséquent, la consommation va baisser. C’est l’objectif même de cette mesure. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne qui est très endettée vis-à-vis du système bancaire va régresser. A court terme, le résultat pour les ménages est négatif. Mais à moyen et long terme, on pourra récolter un petit peu le résultat positif de cette politique monétaire qui consiste à augmenter les taux directeurs ».
Et de conclure que l’augmentation du taux directeur « est un mal nécessaire, mais insuffisant ».