Après deux ans de suspension en raison de la pandémie de Covid-19, la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, voit affluer des centaines de pèlerins juifs. La légende veut que la présence de Juifs sur l’île de Djerba remonte au règne du roi Salomon. Ainsi, ils vivaient déjà dans la Carthage punique. Au-delà du cas des Juifs tunisiens, le judaïsme maghrébin cultivait des particularismes locaux, par rapport au judaïsme ashkénaze; mais aussi au sein du judaïsme proprement séfarade (étude de la mystique juive, célébration des fêtes religieuses et familiales, folklore et mythes). Une histoire longue, dans laquelle les indépendances nationales marquèrent un tournant.
Certaines communautés juives vivaient en Mésopotamie ou en Afrique du Nord depuis plus de 2 500 ans. Leur présence dans cette région du Maghreb était souvent plus ancienne que celle des Arabes arrivés avec la conquête arabe du VIIe et du VIIIe siècles. Certains Juifs étaient des Berbères d’origine établis depuis des millénaires; avant l’avènement du christianisme et de l’islamisation.
L’enracinement des juifs maghrébins
Alors que les chrétiens se convertirent à l’islam entre le VIIe et le XIVe siècle, les juifs s’en tinrent à leur statut de dhimmi (« protégé »). Ainsi, entre 1492 et l’Inquisition en 1536, l’Afrique du Nord fut la terre d’asile des Juifs expulsés des royaumes chrétiens de la péninsule Ibérique. Les communautés d’Afrique du Nord augmentèrent du fait de l’afflux de ceux qu’on persécutait dans la péninsule Ibérique.
En sus de la présence ancestrale de Juifs berbères (tribus judéo-berbères dont certaines se convertirent à l’islam), des séfarades s’installèrent au Maghreb tout au long du Moyen Âge.
A partir de la fin du XIVe siècle, les massacres et les conversions forcées en Espagne suscitent une importante vague d’émigration (accélérée et intensifiée après leur expulsion en 1492 de la péninsule Ibérique). Elle se dirige essentiellement vers le littoral d’Afrique du Nord. La distinction entre juifs « autochtones » et séfarades s’estompera progressivement.
La colonisation française amena les Juifs maghrébins à entrer progressivement dans la modernité occidentale. C’est le décret Crémieux qui consacre formellement cette évolution. En octroyant la nationalité française aux juifs d’Algérie. Ceci accentua le clivage entre les citoyens français (chrétiens et juifs) et le régime spécial auquel étaient soumis les citoyens musulmans (code de l’indigénat de 1881).
Au XXe siècle, avec la montée en puissance des nationalismes arabe et juif, des confrontations intercommunautaires éclatèrent en Palestine, entre les deux guerres. Dans plusieurs capitales arabes, les Juifs furent victimes de pogroms (« Farhoud »). Ainsi en fut il en Irak en 1941, au Maroc et en Syrie en 1944, à Tripoli en Libye en 1945 et à Alep et Aden en 1947. Les premiers exilés quittèrent alors les terres arabes.
La création de l’État d’Israël en 1948 et le premier conflit israélo-arabe marquent une rupture dans l’histoire des juifs arabes.
Des phénomènes convergents et liés entre eux ont amené les Juifs arabes à s’exiler en Israël (par idéal politique et/ou religieux), mais aussi en Europe et en Amérique du Nord. La montée des nationalismes arabe et juif (sionisme), la création d’un État hébreu, l’indépendance d’États arabes (pour laquelle nombre de juifs ont combattu) ou encore les conflits israélo-arabes ont accéléré un mouvement historique dont les Arabes n’ont pas fini de mesurer le sens et la portée.
Le tournant de la décolonisation et de la création d’Israël
Dans les années 1950, ils sont 250 000 au Maroc, 200 000 en Algérie et 100 000 en Tunisie. La présence juive dans le monde arabe qui était souvent plurimillénaire est aujourd’hui en voie d’extinction. Il resterait environ 4 000 Juifs au Maroc, 2000 en Tunisie, par exemple.
Les indépendances nationales ont vu le départ massif des colons ou « pieds noirs » européens chrétiens (Français, Italiens, Maltais, Espagnols), ainsi que celui de juifs. La création de l’État d’Israël a provoqué un mouvement irrémédiable d’immigration ou d’exil (en Israël, mais aussi en France et en Amérique du Nord).
Force est de reconnaître la forte adhésion des « Juifs arabes » au sionisme, qui constitue l’ossature idéologique de (la création de) l’État d’Israël.
Les Juifs sont désormais quelques milliers en Tunisie, en Algérie et surtout au Maroc. Si certains d’entre eux reviennent accomplir la Hilloula (culte des saints) au Maroc et le pèlerinage à la Ghriba (synagogue de Djerba, la plus ancienne d’Afrique), le départ massif des juifs maghrébins a profondément affecté les sociétés d’Afrique du Nord. Une nouvelle page reste à écrire, sur fond de fracture nourrit par le destin de la Palestine …