Une très longue histoire d’amour et de désamour lie notre pays qu’il est convenu d’appeler « La Constitution ».
Aristote dans « La Politique » parlait déjà de « la Constitution de Carthage » que les historiens remontent à la moitié du IVème siècle av. J.-C. Et qui serait une des plus vieilles constitutions que l’humanité ait inventées. C’est dire combien les ancêtres des Tunisiens étaient à l’avant garde.
Sauf que jusqu’à maintenant aucune des Constitutions établies sur cette Terre à civilisation plusieurs fois millénaires n’a jamais été strictement appliquée. Souvent elle ne dure que le temps d’un règne.
A l’évidence les Tunisiens, ont toujours défait ce qu’ils étaient les premiers à construire. Presque une tare génétique diront certains.
N’empêche, ils vont récidiver, plus de deux mille ans plus tard. Et ce, avec le fameux « pacte fondamental », sous Mohammed Bey, en 1857, sous la pression des consuls étrangers. Et surtout sous la menace de l’escadre française, qui pointait ses canons sur le Palais du Bardo où résidait le malheureux souverain. Mais cette « Constitutioune » comme l’appelaient les Tunisiens, (le mot destour étant apparu dans le lexique politique plus tard) n’a évidement pas été appliquée.
Et il faut attendre 1861, après qu’une commission a établi un texte plus conforme à l’esprit d’une Constitution, qui, avant d’être mis en vigueur le 26 avril 1861, a été présenté par le souverain Sadok Bey, à l’Empereur Napoléon III, pour approbation à Alger, en septembre 1860. Elle fût suspendue en 1864, suite à la révolte de Ali Ben Ghthehoum. Vingt ans plus tard, la France qui est derrière la promulgation de cette loi fondamentale, établira son protectorat sur la Régence de Tunis.
Une constitution ne sert que pour être enfreinte
Celle de 1959, en particulier, pourtant fruit d’une Constituante souveraine et issue du peuple, a été modifiée quinze fois entre la date de sa promulgation et 2003. On ne peut pas dire que pendant sa longue existence, comparativement aux deux précédentes et à celle de 2014, elle a servi à instaurer une démocratie fiable.
Pourtant elle continue à être la référence, car elle a établi un régime politique et une République qui sont à la base de l’Etat tunisien et à l’émergence d’une Nation.
Pour dire que l’important n’est pas l’application stricte du texte, mais l’usage qu’on en fait.
Les palabres entre constitutionnalistes (tunisiens) et des pseudos spécialistes, qui sont légion, n’ont jamais servi à rien. Sinon à jeter plus de confusion sur une élite politique qui vit depuis 2011 dans le désarroi le plus total.
Et voici que le peuple qui, en réalité n’a rien à cirer du texte lui même, élit un professeur de droit constitutionnel, au suffrage universel comme Président de la République. Qui pendant trente ans, d’une carrière universitaire plus qu’équivoque, durant laquelle il participa aux débats sur la constitution, et notamment celle de 2014, élaborée en sous main par l’Américain Noe Feltman. Avant de devenir son grand fossoyeur et de lancer le pays entier dans une aventure constitutionnelle, mais aussi politique dont personne ne peut prédire l’aboutissement.
En l’espèce pour en rédiger le texte qui sera soumis au référendum du 25 Juillet 2022, il a choisi son propre maître et ex protecteur. A savoir le mandarin universitaire Sadok Belaïd, dont personne ne doute de la compétence en la matière. Mais qui a la réputation d’atypique en matière de politique.
Sadok Belaïd, un éminent professeur, qui mérite tous ses titres, a cependant une vision un peu singulière de la démocratie.
Ainsi, il ne croit point au principe, pourtant universellement adopté, d’un citoyen, une voix. Il croit encore moins aux partis politiques et n’en voit guère la nécessité dans une démocratie comme il l’entend. Il n’a pas attendu d’être nommé, par le Président de la République, « coordinateur général du comité consultatif pour une nouvelle République » pour expliquer sa nouvelle théorie.
A cet égard, dans un texte qu’il avait publié avant sa récente nomination, il dit tout le bien d’une démocratie politique sans partis. Et il prône même d’exiger des futurs candidats aux législatives, d’êtres des grands diplômés de l’université. Aucun pays au monde n’a établi jusqu’à maintenant une démocratie à deux vitesses. Comme si notre théoricien prône un retour à la démocratie romaine, où les esclaves et les barbares (non citoyens romains) sont exclus de par leur statut de classes inférieures. Mais nous imaginons que le texte qu’il proposera n’ira pas aussi loin dans l’exclusion, car il sait que les opposants farouches à Kaïs Saïed n’en feront qu’une bouchée.
D’ailleurs, chaque jour que Dieu fait, l’opposition à ce dernier se voit renforcée de nouveaux venus. Qui, pour la plupart, étaient jusqu’à il n’y a pas si longtemps ses principaux soutiens. Même les dirigeants de la centrale syndicale, qui a soutenu à fond le coup de force du 25 juillet 2021 et qui a fait preuve d’une grande patience, face aux multiples vexations que lui a infligées le Président de la République, n’ont pu dissimuler leur déception. Et ce, face au décret promulguant la composition du comité qui devait « fonder » cette « nouvelle République ». Par conséquent, ils refusent d’y participer, officiellement parce qu’il exclut tout le monde. Et officieusement parce qu’il accorde un simple strapontin à la puissante organisation ouvrière. Pour KS, le pouvoir ne se partage pas !
Une République sans républicains
Toutes les forces républicaines et non républicaines se dirigent vers un appel à boycotter et le référendum et le scrutin; sans connaître encore le texte de la future constitution. Une situation surréaliste, que seul le refus de l’attitude unilatérale de KS explique. Un bras de fer lourd de dangers pour le pays s’est établi, entre le Président de la République et toutes les forces et partis politiques, auxquels s’ajoute l’incontournable UGTT.
Tout a été fait pour créer le vide autour du projet annoncé par KS de référendum et des élections. Et l’auteur de ce vide n’est autre que KS lui même. Comme s’il veut exclure tout le monde de la participation à ce processus crucial pour l’avenir du pays.
Mais par cette attitude autiste et sectaire, il met en danger son propre projet. Seuls les deux membres du comité annoncé, soutiennent cette démarche insensée jusqu’à maintenant. Mais rien ne dit qu’un dernier désaccord au sein de ce même comité ne viendrait lui asséner le coup fatal.
D’ailleurs déjà, une partie des doyens des facultés de droit, nommés sans les consulter, a signifié par écrit son refus de participer. Sans parler de la Ligue des droits de l’Homme et de l’organisation des agriculteurs qui vont exploser à cause des désaccords qui les traversent à ce propos.
Dans l’attente du fameux texte, les plus folles rumeurs circulent quant à son contenu définitif. La toile s’enflamme entre partisans d’une constitution que personne n’a lue et les adversaires d’un texte encore non officiel. Et les fuites organisées ne font que jeter de l’huile sur le feu. Entretemps, KS reste impassible et garde un silence assourdissant. Un vrai sphinx!
Le risque majeur que court le projet de KS, n’est pas le rejet du texte en soi. Mais le taux de participation au vote du 25 Juillet 2022. Un simple regard sur ce qui se passe à l’ISIE suffit pour nous renseigner que cette institution, est loin d’être prête à organiser dans une totale transparence et neutralité le vote sur le référendum.
D’autre part, il est clair que quel que soit le taux de participation, dont la majorité ne peut être sans surprise que pour le « oui », KS compte opérer un passage en force. Et donc imposer le nouveau texte, que jusqu’à maintenant, seuls, Dieu, Belaïd et lui, connaissent. Un passage en force qui va multiplier et aggraver les défis politiques. Et ce, connaissant le poids des puissances étrangères; ainsi que leur position hostile à tout le processus, que seul un miracle peut changer.
Alors, KS marche sur une corde suspendue et il est à la merci d’un coup de vent! Mais il ne semble pas s’en soucier, ni s’en occuper outre mesure. Un été très chaud nous attend en perspective. Et à la canicule que promettent déjà les sites météo, il faut ajouter une année politique infernale qui se profile à l’horizon.