Les flux migratoires socio-économiques entre la Tunisie et la France sont appelés à croître. Non pas par générosité soudaine du pays de Voltaire, mais par nécessité. En manque cruel de main-d’œuvre, le secteur français de l’hôtellerie-restauration ouvre une brèche dans la politique migratoire rigide d’un pays, la France.
La France bénéficie déjà de la fuite des cerveaux « made in Tunisia ». A savoir des ingénieurs- informaticiens en génie civil, mécanique, électrique ou électronique- surtout; mais aussi médecins. Des emplois (sur)qualifiés dont le profil ne devrait pas correspondre à la main-d’œuvre recherchée par le secteur de l’hôtellerie-restauration. Un secteur en berne durant les deux ans de restrictions sanitaires (liées à la pandémie de Covid-19) et qui connaît des difficultés à recruter plus de 200.000 de postes à pourvoir. De quoi offrir un bol d’air à des milliers de jeunes tunisiens susceptibles de faire valoir leur savoir-faire et de s’ouvrir un nouveau champ des possibles.
Une solution économique et sociale
La situation juridique des Tunisiens qui vivent en France est variée. Que ce soit: des Tunisiens en situation régulière disposant d’un titre de séjour (carte de séjour temporaire ou carte de résidant); Tunisiens titulaires d’une double nationalité franco-tunisienne; des Tunisiens sans-papiers en situation irrégulière; ou des Tunisiens travailleurs saisonniers…
Traditionnellement, selon les données fournies par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ces derniers partent en France (dans le sud) essentiellement dans le secteur agricole (avec des contrats qui portent sur une durée de six mois).
Les besoins de main-d’œuvre et les difficultés actuelles de recrutement dans la branche restauration conduisent l’organisation patronale de l’Union des métiers et des Industries de l’Hôtellerie (sous le contrôle du ministère de l’Intérieur français) à actionner ce dispositif dans des proportions importantes.
Par conséquent, la signature d’une convention avec le gouvernement tunisien pour faciliter la venue de jeunes saisonniers est en cours de négociation. Elle devrait aboutir à pourvoir aux milliers de postes de serveurs et dans l’hébergement.
Concrètement, il s’agirait de contrats à durée limitée de cinq mois maximum. Et payés selon les grilles de salaires de la branche hôtellerie-restauration en France. Des conditions qui demeurent appréciables pour de trop nombreux jeunes tunisiens, actuellement sans perspective dans leur propre pays.
Un dispositif exceptionnel qui s’inscrit dans un dispositif plus global. Un accord bilatéral la France et la Tunisie (signé en décembre 2003) permet en effet à de jeunes tunisiens diplômés ou expérimentés d’exercer leur profession dans l’autre pays pendant une période de 18 mois.
Une expérience professionnelle et linguistique qui attire des « jeunes professionnels » tunisiens qui exercent des métiers en tension sur le marché du travail français : le bâtiment (architecture, installations thermiques/électrique, maçonnerie générale et logistique), la restauration et l’hôtellerie, la boulangerie-pâtisserie, mais aussi ingénieurs et médecins. Dans le sens inverse, de jeunes professionnels français peuvent également bénéficier de ce dispositif pour travailler en Tunisie.
Des difficultés politiques possibles
Si ce dispositif répond à une rationalité ou logique économique et sociale, sa portée politique pourrait faire polémique en France. Car la question de l’immigration y demeure sous tension. Et ce, quelques semaines après que Marien Le Pen a accédé au second tour de l’élection présidentielle. Il y aura forcément un acteur politique pour s’interroger à voix haute pour savoir s’il faut faire appel à une main-d’œuvre étrangère (arabo-musulmane qui plus est) pour résoudre le manque de bras dans l’hôtellerie-restauration… ?
Mis en sommeil durant les Trente glorieuses, le thème de l’immigration est réactivé dans les années 1970. Le choc pétrolier et ses conséquences économiques changent la donne en matière de politique migratoire.
Le président Giscard d’Estaing interrompt en 1974 l’immigration de nouveaux travailleurs. Il met alors en place des aides financières au retour (sans succès) et… défend l’idée d’un renvoi massif de travailleurs immigrés.
Le contexte est alors propice au durcissement progressif de la législation en matière d’entrée et de séjour des étrangers en France. Puisque la conjugaison d’une crise sociale (avec un chômage structurel et massif) et d’une crise des idéaux collectifs de substitution (déclin du marxisme) a aiguisé le développement d’un sentiment de vulnérabilité dans la société française. Une promotion discursive et politique du thème de l’immigration qui aboutit in fine à une représentation de la société française structurée autour d’une opposition entre un « nous » et un « eux ». Les immigrés et les « Français d’origine » sont alors jugés responsables des maux de la France.
Aujourd’hui encore, Emmanuel Macron se complaît dans une posture conservatrice en matière de politique d’immigration et d’asile. Loin de rompre avec le discours anxiogène autour de la figure de l’immigré réduite à une menace sécuritaire et identitaire…