Recevant, en fin de cet après-midi du lundi 30 mai 2022 au Palais de Carthage, le ministre des Affaires étrangères, Othman El-Jarandi, le chef de l’Etat a consacré l’intégralité de son monologue à la teneur du dernier avis consultatif émis par la Commission de Venise dans un rapport exhaustif sur la situation en Tunisie, plus précisément les derniers développements touchant aux libertés et au processus démocratique.
« Les Tunisiens n’admettent pas d’être menés par des conducteurs de gondoles… »
Et pour une fois, Kaïs Saïed a été clair, franc et trop direct. « La Commission de Venise doit s’occuper de ses gondoles et laisser notre pays se débrouiller tout seul et résoudre ses problèmes comme il l’entend et comme l’entend son peuple qui n’accepte pas d’être guidé par des conducteurs de gondoles», a t-il martelé avec force.
Et d’enchaîner : « Est-ce qu’on s’ingère dans leurs affaires ? Est-ce qu’on leur dicte l’attitude à suivre ? Pourquoi alors veulent-ils imposer à la Tunisie la composition de l’Instance des élections ? Pourquoi une femme veut-elle intervenir dans la fixation de nos échéances politiques dont notamment les élections législatives et le déroulement du referendum ? »
« Notre souveraineté nous est trop chère, personne n’a le droit de s’y interférer. Croient-ils que nous vivons à l’ère ayant conduit à l’avènement du protectorat et du colonialisme ? Je leur dis que nous avions des constitutions déjà dès les années Vingt du siècle dernier. D’ailleurs s’ils veulent des conseils et des avis, nous sommes bien outillés pour le faire. Et j’ai dit tout cela à la présidente de ladite Commission lorsqu’elle était en visite en Tunisie…
« Tout membre de cette commission sera considéré une persona non grata en Tunisie »
…Croient-ils que notre pays attend qu’une femme vienne nous dire ce qu’on doit faire ? a-t-il lancé avec vigueur avant de crier, dans un accès de colère : Les membres de la Commission de Venise ne sont plus les bienvenus chez nous. Plus encore, ce sont désormais des persona non grata. On n’en a pas besoin. Nous sommes prêts, s’ils le désirent, à leur donner des leçons en matière juridique », a tenu à indiquer encore le président de la République
« La Tunisie n’est ni une ferme, ni un champ pour que le premier venu vienne s’y balader comme il l’entend. Nous sommes un Etat souverain, et la souveraineté est un principe garanti et respecté par les conventions et les lois internationales », a-t-il affirmé encore.
Rappelant que la souveraineté des Etats est garantie par les conventions internationales, le président de la République ajoute : « Que veut dire qu’une femme vienne parler de la nécessité de rétablir l’ancienne instance supérieure indépendante des élections ?
Bon à rappeler que la commission de Venise a précisé, dans son avis datant du 27 mai 2022, que le décret-loi n°2022-22 portant modification de la composition de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) n’était compatible ni avec la Constitution ni avec le décret présidentiel n°2021-117 ni avec les standards internationaux, appelant à l’abrogation du décret.
La commission a considéré qu’il n’était pas réaliste, non plus, d’organiser un référendum avant la tenue d’élections législatives et en l’absence de règles claires et établies à l’avance.
Après ces propos tenus par Kaïs Saïed, les réactions ne se sont pas fait attendre aussi bien dans les milieux juridiques que ceux diplomatiques. On s’accorde à dire que si dans l’absolu, on ne peut qu’être d’accord avec le chef de l’Etat lorsqu’il défend la souveraineté nationale de la patrie, il n’en est pas de même lorsqu’on évoque la manière et le ton dédaigneux avec lesquels il s’est exprimé.
Le timing de cette intervention semble être mal choisi si l’on sait que notre pays est en pleine discussion avec le Fonds monétaire international et qu’il n’était pas opportun de se mettre les Européens sur le dos en ces moments bien précis.
Un dernier point, un diplomate nous a indiqué qu’en parlant de persona non grata, c’est, généralement, dans les cas extrêmes lorsque la personne en question est considéré comme représentant un danger pour la sécurité nationale…
Noureddine HLAOUI