L’onde de choc de la petite phrase prononcée par le président de l’Algérie à Rome a résonné comme un petit tsunami à Carthage. Abdelmajid Tebboune voulait-il lancer un avertissement à son homologue tunisien? Récit d’une semaine mouvementée entre Alger et Tunis.
Simple lapsus, bourde monumentale, entorse aux règles de la diplomatie ou des propos mûrement pesés? Dans tous les scénarii, et tels des éclairs qui ont zébré le ciel de Rome, la petite phrase prononcée par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune lors de sa visite d’État en Italie a provoqué émoi, étonnement et sourde angoisse sur l’autre rive de la Méditerranée. Surtout, cette déclaration de l’Algérie a été perçue par certains milieux politiques tunisiens comme une atteinte à la souveraineté de notre pays, voire même une inacceptable ingérence.
Comparaison venimeuse
Est-il concevable, s’interrogent les Tunisiens, qu’à l’issue de sa rencontre, la semaine écoulée, avec son homologue italien, Sergio Matarella, le président algérien déclare lors d’un point presse que « l’Algérie et l’Italie sont disposées à aider la Tunisie à sortir de l’impasse et à revenir à la voie démocratique; tout autant que la Libye voisine ».
Cela sous-entend que la Tunisie est incapable de surmonter ses propres difficultés par ses propres moyens. Et donc qu’elle a besoin de l’étranger pour retrouver le processus démocratique. De même, ses propos suggèrent que la situation de notre pays est aussi grave que celle de notre voisin libyen. Un pays en proie aux violences armées entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011. Inacceptable!
Comment le président algérien, dont le soutien indéfectible à la Tunisie n’est pas à démontrer et qui n’a pas, de surcroit, l’habitude de parler à la légère, a-t-il prononcé cette petite phrase, lourde de sens pour les Tunisiens?
Rétropédalage
Le silence radio a été interrompu par une source algérienne au journal algérien Echourouk Online à la date du 29 mai 2022. Laquelle indique que les déclarations du président algérien, Abdelmajid Tebboune, à Rome, ont été « mal interprétées ».
« Ce sont des interprétations hypothétiques qui ne correspondent pas à la solidarité des relations liant l’Algérie avec la Tunisie et son peuple frère ». Ainsi précisait-il en assurant que « les déclarations ont suscité des lectures et des explications biaisées. Lesquelles ne correspondent pas à l’expression explicite de la solidarité réelle du président de la République algérienne avec la Tunisie et les Tunisiens. Et ce, pour les aider à surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés ».
« L’Algérie demeure fidèle à son principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays. Nous faisons confiance au génie des Tunisiens pour trouver des solutions à la hauteur de leurs aspirations; en toute souveraineté et loin des interventions étrangères » conclut la même source.
De même, le ministre des Affaires étrangères Ramtam Lamamra, un poids lourd du gouvernement algérien, cherchait manifestement à arrondir les angles. En affirmant à son homologue tunisien, Othman Jerandi, que l’Algérie « restera toujours aux côtés de la Tunisie; qui fut et demeure encore un appui pour l’Algérie. Compte tenu du passé, du présent, de l’avenir et du destin commun des deux pays ». Et ce, au cours d’un entretien, en marge du Sommet extraordinaire de l’Union africaine. Lequel se tenait les 27 et 28 mai courant à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale.
D’ailleurs, la rencontre a également porté sur les prochaines échéances bilatérales; notamment la tenue de la haute commission mixte. Ainsi souligne un communiqué du ministère des Affaires étrangères paru dimanche.
L’incident est-il clos pour autant? Non, pas si vite, car ce serait aller vite en besogne.
Appréhensions de l’Algérie et de l’Italie
Car, cette déclaration prononcée par M. Tebboune à Rome n’est pas le fruit du hasard. En effet, elle reflète l’appréhension grandissante aussi bien de l’Algérie que de l’Italie quant au risques d’instabilité en Tunisie. Et plus précisément à l’isolement politique aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale du président Kaïs Saïed. Ce dernier, par son attitude isolationniste, risque de plonger le pays dans l’inconnu.
Et ce, au moment même où le Sud de l’Europe dépend de plus en plus du gaz algérien, à cause de l’embargo sur la Russie. D’autant plus que cette précieuse denrée stratégique s’achemine vers l’Italie par le Trans-Mediterranean Pipeline. A savoir, un gazoduc qui parcourt 370 km sur notre sol, avant d’atterrir en Sicile. Un enjeu stratégique de taille et un risque d’instabilité qu’Alger et Rome ne sauraient tolérer. D’où l’avertissement commun lancé à l’actuel locataire du palais de Carthage.