En admettant que la Commission de Venise, en publiant un rapport jugé défavorable au processus électoral en Tunisie, se soit rendue coupable d’ingérence dans affaires internes d’un pays souverain. Le président de la République, Kaïs Saïed, était-il obligé de monter sur ses grands chevaux pour tailler en pièces cet organe purement consultatif?
De mémoire de diplomate tunisien, jamais une personnalité étrangère ne fut expulsée manu militari ou considérée persona non grata. Sauf à l’époque glorieuse du Combattant suprême qui n’hésita pas à expulser sur le champ, et sans hésitation aucune, un prince saoudien de la famille royale coupable d’avoir giflé un maître d’hôtel tunisien. C’était Bourguiba et ce fut un temps où ce pays petit géographiquement, mais grand par son histoire millénaire, était respecté dans le monde par le prestige de son président et la sagesse de sa diplomatie. Autre lieu, autre temps. Hélas! Mais de quel crime impardonnable la Commission européenne pour la démocratie par le droit, appelée commission de Venise s’est-elle rendu coupable? Pour que le président de la République, Kaïs Saïed entre dans une colère noire.
Réactions excessives de Kaïs Saïed
En effet, il exige publiquement de son ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, d’expulser les membres de cette la Commission travaillant en Tunisie. En plus de la suspension de la participation d’experts tunisiens à ses travaux.
Sachant, et c’est impardonnable, que le Président ignore apparemment que le secrétariat permanent de la Commission ne se trouve pas à Venise; mais bien à Strasbourg, en France, au siège du Conseil de l’Europe. Sinon comment expliquer qu’il ait fustigé « les gondoliers qui prétendent nous donner des leçons de démocratie »? Une allusion tout à fait à côté de la plaque!
Accents souverainistes
« Il s’agit d’une ingérence inacceptable […] Si ces personnes se trouvent en Tunisie, qu’elles sachent qu’elles sont indésirables […] La Constitution sera mise en place par les Tunisiens et non par la Commission de Venise. Et s’il le faut, nous allons suspendre notre adhésion à cette Commission ». Ainsi déclarait Kaïs Saïed, lors de son entretien, lundi 30 mai, avec le chef de la diplomatie tunisienne.
« Ils veulent imposer le rendez-vous du référendum. Ils évoquent la nécessité du retour de l’Instance supérieure indépendante pour les élections. De même, ils expriment leurs préoccupations envers ce qui se passe en Tunisie. Tout en réclamant le retour du Parlement où le sang a coulé. Lequel n’a fait qu’adopter certaines lois et conventions relatives à des crédits, » ajoutait-il.
« Nous ne sommes plus au temps de Jules Ferry. Et la Commission de Venise n’a aucun droit d’exiger que la commission électorale soit rétablie ou que le référendum soit organisé à la date qu’elle indique ». C’est aussi ce qu’il rappelait.
Et de poursuivre: « Il s’agit là d’une ingérence inacceptable. Notre pays n’est pas une ferme ou un verger qu’ils envahissent quand ils le veulent. Et ils ne sont pas les tuteurs des choix de notre peuple. Nous n’avons pas besoin de leur accompagnement ou de leur assistance. Et si nécessaire, nous nous retirerons de cette Commission. »
« Je ne tolérerai donc aucune intervention dans les affaires internes de la Tunisie; ni aucune atteinte à la souveraineté nationale. La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain. Nous n’avons pas besoin de leur aide, ni de leur accompagnement. La constitution sera réalisée par les Tunisiens et non à Venise », martelait-il encore.
Un rapport accablant
En effet, la décision de déclarer les représentants de la Commission de Venise personae non gratae fait suite à la publication d’un rapport par la dite Commission. Soit un organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants en droit constitutionnel. Rapport établi à la demande de l’Union Européenne pour un avis urgent sur le cadre constitutionnel et législatif concernant le référendum et les élections législatives anticipées en Tunisie.
Ainsi, et c’est ce qui a fortement déplu à Carthage, la Commission de Venise appelle tout simplement à: l’abrogation du décret-loi n°2022-22; l’annulation du référendum du 25 juillet 2022; et la tenue d’une vaste consultation réunissant les partis politiques et la société civile. Et ce, afin de parvenir à un consensus sur les nouvelles règles électorales. Enfin, l’organisation d’élections législatives anticipées par l’ISIE dans sa composition antérieure.
« Il est irréaliste de prétendre organiser un référendum constitutionnel crédible et légitime le 25 juillet 2022. Et ce, en l’absence de règles claires établies bien avant l’organisation du référendum. Et surtout sans le texte de la nouvelle Constitution soumis à référendum ». C’est ce qu’ont conclu les trois experts de la dite Commission.
Nuages sombres sur Carthage
Bref, si on suivait les recommandations de la Commission de Venise, c’est tout l’édifice bâti par Kaïs Saïed depuis le coup de force du 25-juillet qui s’écroulerait!
D’autre part, il faut bien reconnaitre que les nuages noirs et menaçants ne cessent de s’accumuler sur le ciel de Carthage.
En effet, après les interprétations contradictoires sur la sortie, la semaine dernière, du président algérien Abdelmadjid Tebboune depuis Rome. Ce dernier exprimant sa disposition à « aider la Tunisie à sortir de l’impasse » et à la « remettre sur la voie de la démocratie ». Kaïs Saïed est de plus en plus isolé à l’échelle nationale et internationale. Alors, avait-il intérêt à se mettre à dos un organe purement consultatif faisant partie de l’Union Européenne? Laquelle, rappelons-le, versera le 1er juin, 300 millions d’euros à la Tunisie. Et ce, dans le cadre de son programme d’assistance macro-financière de 600 millions d’euros, en réponse à la crise COVID-19.
On ne fait pas le fier quand on a besoin des autres pour survivre.