La Commission de Venise estime que l’organisation du référendum constitutionnel prévu le 25 juillet n’apporte pas de garanties suffisantes au regard des exigences démocratiques et de l’Etat de droit, ce compte tenu de « l’absence – deux mois avant la date prévue pour la consultation – de règles claires et établies bien à l’avance, sur les modalités et les conséquences de la tenue de ce référendum, surtout en l’absence du texte de la nouvelle Constitution qui sera soumis au référendum ».
Un rapport/avis qui a provoqué l’ire de l’hôte du Palais de Carthage. Et pour cause, ce désaveu illustre l’isolement international et l’impasse politique à laquelle aboutit la stratégie du président de la République Kaïs Saïed. Comme un symbole de cette dérive, les membres de la Commission de Venise sont devenus persona non grata…
Entre ingénierie et interventionnisme constitutionnel de la Commission de Venise
Si l’élaboration de la Constitution de la Seconde République a été élaborée par une assemblée constituante souveraine, ses travaux ont mobilisé des « experts internationaux ». Il s’agissait là moins d’une quelconque « ingérence étrangère », qu’une modalité de collaboration d’ingénierie constitutionnelle.
Toutefois, les circonstances de l’avis de la Commission de Venise procèdent d’une logique plus interventionniste. En effet, il y a près d’un mois, ce n’est pas l’Etat tunisien mais le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) qui, suite à une demande de députés européens, qui avait demandé (par l’intermédiaire de la délégation de l’Union européenne en Tunisie) un avis urgent de la Commission de Venise sur le cadre constitutionnel et législatif concernant le référendum et les élections annoncés par le président Kaïs Saïed, et notamment sur le décret-loi n° 2022-22 amendant et complétant la loi organique sur l’ISIE.
Il est vrai aussi que le processus constituant initié unilatéralement a fait face d’emblée à des critiques des principales forces politiques et sociales du pays.
Sur la scène internationale, les Etats peuvent faire appel soit à des experts, soit se tourner vers une organisation internationale qui a développé une certaine expertise dans ce domaine, afin de bénéficier d’une ingénierie constitutionnelle répondant à des standards internationaux sur des points plus ou moins précis. L’expert international peut alors jouer le rôle de médiateur, et les textes constitutionnels un rôle pacificateur.
« Le processus constituant initié unilatéralement a fait face d’emblée à des critiques des principales forces politiques et sociales du pays »
Plusieurs organisations multilatérales européennes se sont développées en vue de favoriser l’échange des savoirs et expériences en matière constitutionnelle. Ainsi, l’espace constitutionnel européen donne-t-il lieu à des pratiques d’assistance constitutionnelle, qui se sont avérées comme des instruments pour le modèle constitutionnel occidental de s’étendre – à partir du début des années 90 – aux pays d’Europe centrale et orientale.
La « Commission européenne pour la démocratie par le droit » plus connue sous le nom de « Commission de Venise » est un organe consultatif du Conseil de l’Europe chargé des questions d’ingénierie constitutionnelle.
Après avoir joué un rôle essentiel dans l’adoption de constitutions d’Europe de l’Est conformes aux standards du patrimoine constitutionnel européen, elle a évolué progressivement pour devenir une instance de réflexion indépendante qui comprend des États non-européens.
Saisie par le Conseil de l’Europe ou par les Etats membres, elle donne des avis sur toute question constitutionnelle, y compris dans le domaine électoral.
Elle est composée « d’experts indépendants éminents en raison de leur expérience au sein des institutions démocratiques ou de leur contribution au développement du droit et des sciences politiques » (article 2 de son statut).
Concrètement, la Commission a élaboré les documents de référence du Conseil de l’Europe en la matière : le Code de bonne conduite en matière électorale et le Code de bonne conduite en matière référendaire. Elle a ainsi défini et développé les principes fondamentaux du droit électoral.
Droit dans le mur ?
Les jeux et calculs politiques fomentés au palais de Carthage contrastent avec l’urgence sociale dans laquelle est plongé le pays. Un paramètre que le président semble comme sous-estimé. L’appel à « la dignité » est toujours à l’ordre du jour.
Non seulement les couches populaires comme la classe moyenne sont confrontées à un coût de la vie qui dégrade leur condition – alors que la révolution devait l’améliorer –, mais elles ont l’impression de subir la pression fiscale accrue d’un Etat inefficace.
Pour autant, personne n’a vraiment intérêt à voir la situation se dégrader. L’opposition n’a de toute façon pas de leader charismatique, pas de structure partisane qui puisse l’orienter ou le contrôler…
Animé par un logiciel populiste et par un dogmatisme rigide, le président tunisien laisse penser qu’il est prêt à aller au bout de sa démarche solitaire. Envers et contre tous ? Il reviendra au peuple tunisien de trancher …