L’attaque foudroyante du Président de la République contre la Commission de Venise, pour crime de lèse-majesté, et pour un flagrant délit d’ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain, n’aurait pas fait couler beaucoup d’encre si la Tunisie n’en était pas membre. Et si Kaïs Saïed lui même via le Ministère des Affaires Étrangères et même la commission qui devait écrire la nouvelle constitution, n’avait pas sollicité son avis qui reste après tout consultatif.
La charge menée par le chef de l’État, contre cette institution européenne, est disproportionnée par rapport au supposé danger qu’elle représente pour la stabilité de la Tunisie et même pour le processus politique engagé par le Président lui même. Son avis ne changera rien à la politique de la Commission européenne, à l’égard de la Tunisie, qui est dictée par des considérations stratégiques. C’est comme si on utilise un missile pour écraser une mouche, toute proportion gardée. Kaïs Saïed en agissant ainsi contribue à torpiller son vaisseau, et prête sans qu’il le sache main-forte à ses propres ennemis. Car il s’agit bien d’ennemis déclarés et non seulement potentiels dont il est question.
Kaïs Saïed le sauveur, Kaïs Saïed le démolisseur
Le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed est apparu comme le sauveur suprême du pays, dominé par dix ans de règne implacable d’un islam politique, rétrograde et anti national qui a mis à genoux et l’État, et l’économie. Mais surtout toute une société qui était considérée comme la plus avancée dans l’ère arabo-musulmane. Ses opposants les plus farouches d’alors et qui n’étaient pas islamistes, depuis son élection ont vu là, l’occasion d’en finir définitivement avec dix ans d’anarchie et de gabegie. D’autant plus que lui-même était soupçonné de connivence avec les islamistes, qui d’ailleurs, avaient tous appelé à voter pour lui en 2019. Sa popularité était alors au zénith. Un seul hic, personne ne savait jusqu’à là ce que voulait KS ? Quel était son projet ? Quelle était sa vision de l’État, de la République, de la constitution, de l’indispensable relance économique alors que le pays touchait le fond, des relations internationales, des relations avec les pays voisins, des pays frères et amis ? Même ceux qui l’avaient côtoyé dans sa vie universitaire, étaient incapables d’enrichir notre connaissance du personnage et encore moins de ses véritables intentions. Une grande énigme et il l’est resté jusqu’à maintenant. Le plus drôle et néanmoins grave, c’est qu’il fait tout pour entretenir ce mystère.
N’est t-il pas celui qui a osé braver « l’interdit » et affronter le redoutable adversaire intégriste avec toutes ses variantes ? N’a-t-il pas démit tout un gouvernement dirigé par son ex-poulain mais qui entre temps, s’était jeté, dans les bras de ses ennemis, et a assigné en résidence surveillée le redoutable, Bhiri, cheville ouvrière de la formation islamiste et qui dirigeait jusqu’alors des juges crapuleux ? N’a-t-il pas dissous d’un seul trait le parlement, devenu le symbole de la déchéance du pays et retiré l’immunité à tous ses membres dont certains se sont révélés des véritables mafieux poursuivis par la justice ? N’a-t-il pas dissous par un seul décret, un haut conseil de la magistrature aux ordres de Rached Ghannouchi lui même ? N’a-t-il pas d’un seul trait recomposé l’ISIE, soupçonnée par la Cour des comptes d’avoir laissé trafiquer les élections précédentes à large échelle ? Et enfin n’a-t-il pas sauvé le pays de la pandémie qui avait fait plus de vingt mille morts ?
Oui c’est bien lui à qui on pouvait décerner sans hésiter le titre de sauveur ! Sauf que !
C’est bien KS qui, dans un élan donquichottesque, avait déclaré que son élection ouvrait à l’humanité tout entière une nouvelle ère qui va rompre avec les traditionnelles démocraties des partis politiques, qu’il jugeait dépassées. Rappelant par là le vieux et illuminé Khaddafi qui prônait la fameuse « troisième théorie », qui avait enfanté le monstre que l’on sait chez nos voisins du sud.
C’est bien lui qui avait donné le feu vert à Erdogan pour intervenir militairement en Libye en lui prêtant assistance. Avant de se retourner rapidement contre sa promesse; après on ne sait plus quelle intervention, certainement assez vigoureuse. C’est bien lui qui avait déclaré devant un Président français, incrédule, que la France n’a jamais colonisé notre pays, mais avait seulement agi en protecteur (Protectorat) ! C’est bien lui qui a refusé de fêter comme il sied à son poste, la commémoration de l’Indépendance et qui a oublié dans son discours tardif de citer les pères de l’Indépendance dont le grand leader Habib Bourguiba. C’est bien lui qui, avant son élection s’était déclaré contre l’égalité entre les sexes quant à l’héritage. C’est bien lui qui avait provoqué un gâchis monstre dans les circuits de distribution des marchandise en accusant injustement d’honnêtes commerçants ou fabricants de voleurs. C’est bien lui qui avait interdit de voyage, d’honnêtes hommes d’affaires et des personnalités politiques sans raison, juste sur la base de soupçons non justifiés. C’est bien sous son règne que de simples blogueurs ou journalistes ont étés convoqués par la justice militaire. C’est bien sous sa gouvernance que les prix se sont envolés et que des pénuries des principales matières de base se sont déclarées. C’est bien sous sa direction que notre diplomatie était devenue incapable de gérer les dossiers les plus faciles, que dire des grands dossiers.
C’est aussi sous sa direction que notre représentant à l’ONU avait voté contre la Russie dans l’affaire de l’Ukraine. Alors qu’officiellement la Tunisie avait tenté de jouer la neutralité ? C’est sous sa direction que notre ambassadeur à Moscou avait annoncé une visite de notre Président au Kremlin, avant qu’il ne se rétracte. Et la liste est longue des positions ambiguës, de notre pays où l’on ne peut que rester coi devant tant d’incohérences.
Sauver Kaïs de Saïed
KS est passé maître dans l’art de démolir ce qu’il a lui-même construit. Ses sorties médiatiques, produits d’un autre âge, ont fait de lui la cible des internautes. Ce qui vraisemblablement lui déplaît énormément, mais ne l’incite pas à changer de stratégie de communication. Il a même inventé un lexique politique, propre à lui, mais emprunté sûrement au jargon militaire d’une autre époque. Car depuis la première Guerre du Golfe ce jargon a été complètement transformé. Mais cela doit certainement lui plaire de parler de missiles, de plateformes de missiles, de coups de tonnerre, sans parler des adjectifs pour qualifier ses adversaires politiques, puisés dans la logomachie des partis nationalistes arabes, comme les mots, traîtres, agents de l’étranger, cinquième colonne, etc… Le problème c’est que prononcés par un Président de la République, chef d’état-major des forces armées, cela aurait du provoquer une guerre civile qui aurait décimé la moitié de la population. Sauf, que ces mots prononcés ne semblent avoir aucun effet sur la réalité des choses. Juste des mots, sans plus. Mais cette agressivité gratuite a eu pour effet de dissuader plus d’un fervent défenseur de KS.
Surtout qu’il fait tout pour écarter ses amis politiques réels ou potentiels. L’exemple de l’UGTT est symptomatique d’une situation devenue ingérable. Non pas que la centrale syndicale ait un apport qualitatif quant à la confection du texte de la future constitution, et en plus ce n’est pas son rôle. Mais sa présence symbolique, dans la commission chargée de la rédaction, aurait évité à KS bien des déboires, et aurait représenté une caution plus qu’importante.
De toute façon, indépendamment de la position prise par la centrale, il est clair que la future constitution ne pourra qu’englober les grandes tendances inscrites dans l’histoire de cette dernière. Encore une fois, KS par son attitude hautaine perd un allié précieux, allié qui menace déjà d’une grève générale avant même le référendum. Évidement aucun dans l’entourage du chef de l’Etat pour éteindre ces feux provoqués par des tirs amis.
Mais le pire dans cette situation, est l’incapacité des amis et des subordonnées de KS d’agir pour amortir le choc des « bombardements » médiatiques et politiques venant de pays frères ou amis.
Nos ambassadeurs dans ces pays ne pensent qu’à leurs privilèges et font les morts devant ces avalanches. Comme d’ailleurs leurs ministre qui se contente d’encaisser. Ses explications de la démarche prônée par KS quant au processus politique adopté, font sourire les diplomates chevronnés. Et c’est aussi à ce niveau qu’on découvre, que le MAE n’a pratiquement plus de réseaux d’influence dans ces pays. A cela rien de plus normal puisque depuis dix ans on n’a fait que purger ce ministère de souveraineté de ses cadres de valeur. Ceux qui ont semé alors le vent recueillent aujourd’hui la tempête. Et en particulier cet éternel ministre qui a travaillé sous tous les régimes sans être un Talleyrand.
Au même moment les réseaux dormants qui ont toujours travaillé contre l’intérêt de la Nation se réveillent et s’organisent pour renverser la situation en faveur des ennemis de KS. Tous « les professionnels des droits de l’homme » sont mobilisés et montent au créneau. Les mêmes qui le long de la décennie noire ont fait profil bas, investissent les médias tunisiens et étrangers et appellent à boycotter le référendum et les élections, pour cause de manquements aux droits de l’Homme. Leur objectif: faire capoter la naissance d’une nouvelle constitution, cette fois-ci écrite par d’éminents constitutionnalistes tunisiens. Et non par un certain Noé Feltman, comme le fut celle de 2014. Ils sont relayés par des chroniqueurs et des journalistes qui pensent que Kaïs SaïedS est sur le départ! Sauf qu’à notre humble avis, ils se trompent lourdement.
Ce qui facilite leur travail c’est bien les bourdes médiatiques et politiques de KS lui même. Nous aurions conseillé à KS de garder le silence jusqu’au 25 juillet. Et laisser faire le Président de la commission le doyen Belaïd, qui se bat comme un lion, parce qu’il est porteur d’un projet.
De toute façon, une fois le texte final divulgué et nous pensons d’ores et déjà qu’il serait meilleur que celui de 2014, celui « qui a une pierre, il ne peut que la jeter » comme le dit si bien le proverbe tunisien. Il s’agit non pas de sauver le soldat Kaïs Saïed, peut être de lui-même; mais de sauver la nouvelle constitution et qui sera un tournant dans l’histoire politique de la Nation.
Défendre cette nouvelle constitution n’est en aucun cas défendre KS ? Cela transcende les personnes et les partis politiques. Même si le texte n’est pas encore prêt, on en connaît les tendances essentielles. Et puis ce n’est qu’un texte et non un livre saint.