La révocation de 57 magistrats, annoncée par le chef de l’Etat avant que la liste des concernés ne soit rendue publique tard dans la soirée du même jour sans mentionner les motifs personnalisés et reprochés à chacun de ces juges.
Outre la décision de limogeage, la manière a soulevé un tollé général chez la magistrature et les organisations impliquées en matière des droits des justiciables et de l’Homme, en général ? Raison de plus lorsqu’il s’agit des hommes, théoriquement et officiellement, chargés de faire appliquer la justice et l’équité. En effet, ces magistrats ayant toujours appliqué le principe garantissant à tout accusé le droit de se défendre à trois niveaux (première instance, appel et cassation), se sont vu refuser, conformément au décret présidentiel et par la seule volonté du chef de l’Etat, toute possibilité de recours.
Selon le même décret, le recours n’est possible pour ces juges révoqués qu’après un éventuel jugement définitif. Autrement dit, ils peuvent attendre des années et des années et peuvent quitter ce bas monde sans avoir pu défendre leur cause.
Bien entendu, les « ultras » fans de Saïed crient, haut et fort, qu’il n’y a aucun doute sur la culpabilité des magistrats révoqués. Et bien entendu, sans fournir la moindre preuve. Et d’un…
Une simple lecture de la liste de ces magistrats, nous donne une première idée sur leur rang et leur réputation, dans un sens comme dans l’autre. Parlons-en…
En l’absence de documents tangibles, on peut d’ores et déjà se fier à ce que nous apprennent des milieux proches des Palais de justice et des magistrats révoqués. Quand on voit une Kalthoum Kennou, dont l’intégrité n’est plus à prouver, prendre la défense d’un bon nombre de ces juges, il est logique qu’on se pose des interrogations sur la fiabilité de cette décision présidentielle.
Il faut dire que Kaïs Saïed a mis aux oubliettes le Conseil supérieur provisoire de la magistrature qu’il a intronisé, lui-même, suite à une rude bataille avec l’ancien CSM. Pourquoi alors, tout ce forcing pour imposer une décision aussi grave et aux éventuelles conséquences dramatiques, et sur les magistrats et sur leurs familles.
D’ailleurs, à part les mouvements et les personnalités soutenant Saïed et son projet, la majorité des voix se sont exprimées contre la décision du chef de l’Etat. Noureddine Tabboubi, secrétaire général de l’UGTT n’a pas hésité à monter au créneau pour fustiger la décision, qualifiée d’arbitraire du président de la République.
« Ceux qui vous présentent les rapports sur untel ou un autre ne sont pas toujours fiables et peuvent vous induire en erreur. N’agissez pas par esprit de vengeance contre ceux qui refusent d’obéir à vos desiderata et refusent d’appliquer votre projet et votre programme », a martelé en substance, Noureddine Tabboubi.
Et d’enchaîner par un appel à Kais Saied pour ne pas suivre les pas de l’ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri qui avait décidé de limoger 82 magistrats suspectés de corruption, car c’est aux institutions de l’Etat de prendre de telles décisions.
D’autre part et à regarder de plus près la liste de magistrats révoqués, on constate qu’il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de « poids lourds ».
On citera, entre autres, Imed Ben Taleb, procureur général près la Cour de Cassation, Youssef Bouzakher, ancien président du CSM, Khaled Abbès, procureur général près la Cour d’Appel de Nabeul, Hamadi Rahmani, conseiller près la Cour de Cassation, Romdhana Rahali, présidente de la Cour d’’Appel de Bizerte, Néji Dermech, procureur général près la Cour d’Appel de Bizerte, Mohamed Kammoun, 1er juge d’instruction au Tribunal de première instance de Tunis, Rafiâ Naouar, présidente de la Cour d’Appel de Tunis, Mourad Messaoudi, président de l’Association des jeunes Magistrats, Malika Mezari, ancienne présidente du Conseil de l’Ordre judiciaire.
Sans oublier, bien évidemment, Taïeb Rached et Béchir Akremi notoirement connus pour leurs dossiers, étalés en public, à propos de corruption, enrichissement illicite et dissimulation de milliers dossiers ayant trait à des affaires de terrorisme.
Ainsi, de par leur ampleur, ces limogeages créent un sérieux trou au sommet de la hiérarchie au sein des différents tribunaux du pays. Et pour y pallier, cela équivaudrait à un véritable mouvement général dans le corps de la magistrature pas très loin de celui effectué annuellement puisque, comme chacun le sait, tout poste de responsabilité qui se libère, entraîne des mouvements pour une dizaine d’autres
En tout état de cause, la dernière décision de Saïed constitue, de l’avis de tous, un véritable séisme qui secoue toute la scène nationale, aussi bien judiciaire que politique et sociale. Elle a, même, des répercussions sur les relations étrangères de la Tunisie avec une réaction trop violente, déjà, des Etats-Unis d’Amérique…
Encore un passage en force et un fait accompli de Kaïs Saïd. Cela plaît et bénéficie de l’adhésion des adeptes du populisme, mais entraîne, également, une forte opposition des institutions et des organisations de poids, ce qui contribue à davantage d’isolement aussi bien à l’échelle nationale que celle internationale, plus particulièrement, parmi les défenseurs de la démocratie, des libertés et des droits de l’Homme.
Alors, Saïed a-t-il « commis » le coup de force de trop ?!