En trois mois de guerre en Ukraine, l’Occident a mis en œuvre six séries de sanctions contre la Russie dans l’objectif de la mettre à genoux. Si l’on prend en compte le taux d’inflation, la montée vertigineuse des prix des produits alimentaires et énergétiques et la parité dollar/rouble et euro/rouble, force est de constater que ces sanctions ont endommagé les économies des pays qui les ont initiées plus que celle du pays-cible.
Paradoxalement, le pays ciblé par cette série de sanctions, la Russie, et malgré son engagement dans une guerre coûteuse, s’en sort mieux que la plupart des pays dans le monde. Un monde que les sanctions occidentales contre le plus grand producteur de nourriture et d’énergie ont mis sens dessus-dessous.
Les économies ne peuvent pas fonctionner sans énergie (pétrole et gaz essentiellement), et les hommes ne peuvent pas vivre sans nourriture. En dépit de ces évidences, les pays occidentaux ont pris la décision hasardeuse et irréfléchie de fermer les plus gros robinets qui alimentent leurs économies en énergie et les centaines de millions d’êtres humains en nourriture.
Pays immense, autosuffisant dans pratiquement tous les produits nécessaires au fonctionnement de son économie et la vie de ses citoyens, la Russie a pu résister aux sanctions que leurs initiateurs voulaient paralysantes. Elle n’a trouvé aucune difficulté à échanger ses clients européens par des clients asiatiques. Et l’effondrement du rouble face au dollar et à l’euro qu’escomptaient les Occidentaux n’a pas eu lieu.
Joseph Biden dans ses petits souliers
Il convient de rappeler ici qu’au début de la guerre le président Joseph Biden s’est dit certain que l’économie de la Russie s’effondrera et le dollar s’échangera contre 200 roubles. Il devrait être dans ses petits souliers quand il voit aujourd’hui le dollar osciller entre 57 et 60 roubles contre 80 roubles avant la guerre. Quand il fait le constat que les consommateurs russes sont moins affectés que les consommateurs américains et européens.
Tout cela pour dire que la série de sanctions occidentales équivaut à une série de balles que les dirigeants américains et européens se sont tirées dans les pieds. Sauf que le mal ne s’est pas limité aux économies d’Europe et des Etats-Unis. Mais il s’est étendu dans pratiquement tous les pays. Et en particulier aux pays pauvres qui, à l’instar de la Tunisie, importent le pétrole pour leurs économies et le blé pour leurs populations.
Aujourd’hui, les dirigeants européens se trouvent dans une situation peu enviable. Leurs émissaires arpentent la planète et frappent aux portes des pays producteurs de pétrole et de gaz. Ils ont imploré tour à tour l’Arabie saoudite, l’Algérie, l’Irak, et les Emirats Arabes Unis d’augmenter leurs productions. Là où ils vont, ils reçoivent la même réponse: « Désolés, nous ne pouvons accéder à vos demandes. Nous avons signé des engagements avec OPEC-Plus ».
Les Etats-Unis ont tenté désespérément de limiter les dégâts en augmentant leur production pétrolière et en mettant sur le marché quotidiennement un million de barils supplémentaires tirés de leur réserve stratégique, réduite à son plus bas niveau. Rien n’y fait.
Ce fut un temps où, par un simple coup de téléphone de la Maison-Blanche, les grands producteurs du Golfe obéissaient sans discuter. Aujourd’hui, à la lumière de la restructuration stratégique mondiale en cours, il y a comme un affranchissement du joug américain.
Dans le Golfe aujourd’hui, les désirs de Washington ne sont plus des ordres. Mieux encore, ou pire, le chef du Pentagone n’arrive plus à prendre rendez-vous avec le prince héritier saoudien. Le président américain lui-même rencontre des difficultés à trouver quelqu’un au bout du fil quand il appelle Ryadh…
A Riadh « Hat in hand » ?
On ne lui répond pas au téléphone? Qu’à cela ne tienne. Biden prendra sa valise et ira en personne à Riadh. En effet, selon la presse américaine, le président américain se prépare à se rendre d’ici quelques semaines en Arabie saoudite. Entre temps, il espère faire oublier ses attaques contre la famille régnante saoudienne, et en particulier contre le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Attaques proférées au vitriol du temps où il était vice-président d’Obama et au début de son mandat de président.
Les commentateurs américains ne l’ont pas raté. Certains ont carrément écrit que Biden ira en Arabie saoudite « Hat in hand ». Une expression qui, littéralement, veut dire « chapeau en main ». Mais dont le sens réel veut dire: « Se présenter chez quelqu’un avec une grande humilité pour lui demander très poliment quelque chose. » Ce qui, visiblement, n’empêche pas le même Biden de garder la haute main en Europe!
Une question que nombre d’Européens ne manqueraient pas de se poser: comment se fait-il que des pays modestes dans le Golfe et ailleurs ne répondent plus aux ordres de Washington? Alors que des puissances de la taille de la France, de l’Allemagne et de l’Italie se comportent toujours comme les vassaux d’une puissance distante de 5000 kilomètres de l’Europe?
Car les Européens ne sont pas débiles au point de croire sérieusement que les sacrifices qu’ils sont en train d’endurer, dans la guerre que mène la Russie, visent à aider les Ukrainiens à recouvrer leur liberté et non à aider les Etats-Unis à perpétuer leur domination sur la planète.