Après les récentes dégradations par Moody’s et Fitch Ratings de notre notation souveraine, des révisions de la notation ne sont pas à écarter d’ici la fin de l’année.
Est-ce que nous allons pouvoir remonter la pente ? A notre avis, c’est une mission impossible. Le plus probable serait de voir le rating se dégrader davantage pour deux principaux facteurs.
Retard dans les négociations avec le FMI
Le premier élément est le retard dans la signature d’un accord avec le FMI. Il faut dire que les techniciens du ministère des Finances se sont offert un engrenage en supposant un financement rapide au cours des quatre premiers mois de l’année dans la loi de finances 2022. La réalité est autre et nous allons clairement terminer la première moitié de l’exercice sans même lancer officiellement les négociations. Du point de vue de la capacité de remboursement, la Tunisie peut toujours respecter ses engagements à court terme envers ses créanciers, même sans obtenir ces financements. Toutefois, cette réussite se fera au détriment des importations ou du paiement des autres prestataires de services.
Cette hypothèse, prise soit pour faire avaler la pilule de la loi de finances par ses détracteurs, soit par excès de confiance, a mis le gouvernement sous le feu des agences de rating.
Aujourd’hui, le retard accusé fait que toutes les autres hypothèses du financement du trou budgétaire ne sont plus d’actualité. Cela signifie des doutes sur la capacité du gouvernement à trouver des Notation souveraine Pourquoi nous risquons de sombrer encore Après les récentes dégradations par Moody’s et Fitch Ratings de notre notation souveraine, des révisions de la notation ne sont pas à écarter d’ici la fin de l’année.
solutions concrètes pour sauver son exercice et inquiète donc les créanciers. Les marchés réagissent de manière rationnelle et automatique, car les investisseurs n’ont pas nécessairement une information exacte sur ce qui est en train de se passer. On ne regarde que les chiffres macroscopiques qui ne sont pas flatteurs.
Lorsque Fitch avait dégradé la notation à CCC avec des perspectives négatives, elle tablait sur un accord durant le troisième trimestre 2022. Une utopie, si on tient compte des conditions actuelles. Fin juillet prochain, on connaitra le sort du référendum, deuxième étape d’un processus qui ne fait pas l’unanimité. L’Etat est considéré par les acteurs internationaux comme étant failli, ne respectant pas ses institutions. Maintenant, il faut attendre le contenu du projet de la Constitution qui, à notre avis, pourrait rationaliser les avis. Si le nouveau texte parvient à garantir les libertés et met les bases d’une vraie nouvelle République, il est fort probable que les organisations internationales commenceront à croire à l’utilité du passage en force du Président. Certes, si le « Oui » domine le 25 juillet prochain, les partis politiques, Ennahdha à leur tête, vont mettre davantage de pression pour discréditer Saïed. Cependant, cela pourrait donner un sursis aux autorités pour défendre leur position et demander un moratoire, le temps que le processus soit achevé au mois de décembre. Mais qui accorderait une ligne de crédit de quelques milliards de dollars à un gouvernement sur le départ ? Les bonnes volontés seront notées, appréciées, mais sanctionnées d’une nouvelle dégradation de la notation.
Et si le texte présenté est loin des attentes ou si le « Non » triomphe, le pays ne s’en sortira pas et la révision à la baisse du rating souverain sera immédiate.
Retard dans la mise en place des réformes
Le second facteur susceptible de fragiliser notre position vis-à-vis des agences de notation est le report de l’implémentation des réformes tant attendues. De facto, c’est le cas. Les démarches à suivre sont connues par tous et ne sont plus un secret. Il faut baisser la facture de la compensation, la masse salariale et traiter le cas des entreprises publiques.
Pour le premier axe, le gouvernement est déterminé à baisser les subventions en les orientant vers ceux qui en ont besoin. Il est en train d’augmenter rapidement le hausse des cours sur les marchés. A notre avis, même si les prix vont baisser, les autorités ne suivraient pas la tendance, car cela leur permet d’épargner les denrées alimentaires. Il faut penser facture globale de compensation et, surtout, conséquences sociales.
Ici, le vrai problème est l’impact inflationniste de la réforme envisagée. Si le gouvernement décide de passer à des transferts monétaires aux bénéficiaires et libéraliser les prix des matières concernées, c’est que nous allons nous diriger vers une inflation structurelle à deux chiffres.
Le montant versé par l’Etat ne compensera que la consommation au sein du ménage, mais il ne compte pas aller plus loin. Un chef de famille devrait supporter tout seul la hausse des prix des sandwichs de ses enfants, de ses repas pris au cours de ses journées de travail, de son petit déjeuner quotidien, etc. La facture sera salée et pourra toucher de plein fouet le pouvoir d’achat des ménages qui ne pourraient plus s’offrir même le petit luxe de prendre un café dans un salon de thé le weekend ou de manger un gâteau en famille.
Socialement, c’est une bombe à retardement. Nous comprenons la raison pour laquelle le FMI a exigé un consensus national sur de telles manœuvres. En tant que principal partenaire, l’UGTT est le garant d’une paix sociale. Petit problème : l’UGTT ne peut pas se permettre de prendre une position qui risque de mettre en question son rôle de défenseur des travailleurs. Elle a déjà annoncé la couleur avec une série de grèves, avant que les réformes ne commencent. Que dire alors du lancement effectif du chantier !
L’organisation syndicale est également un joueur clé dans les deux autres axes. Pour elle, la masse salariale à réduire est une ligne rouge. Le gouvernement ne peut pas avoir un impact financier significatif avec des mesures telles que le gel des recrutements pour encore des années ou le non paiement des heures supplémentaires. De même, encourager les fonctionnaires à se lancer dans une expérience entrepreneuriale ou à travailler moins d’heures n’aura pas l’effet monétaire espéré sur une masse salariale de plus de 20 milliards de dinars.
Pour les entreprises publiques, inutile de penser à leur vente pour deux raisons. La première, c’est que la situation de la plupart d’entre elles est catastrophique. Elles souffrent de pertes structurelles de milliards de dinars. La seconde est que les fonctionnaires ne vont jamais accepter la privatisation, même partielle, de leurs entités, car c’est synonyme de perte de leur statut confortable.
Conclusion : il y aura donc un avancement insuffisant dans le volet réformes, ce qui signifie une dégradation quasi certaine de la notation souveraine.
Soutenabilité de la dette
Ces deux éléments conduisent à l’aggravation des besoins de financements en devises pour combler un déficit budgétaire qui s’annonce déjà plus large que prévu. La crise ukrainienne va coûter 5 milliards de dinars supplémentaires à la Tunisie, à trouver le plus rapidement possible.
Moody’s avait mentionné le risque sur le dinar et son impact sur l’encours de la dette et sa soutenabilité. La pression sur notre monnaie nationale, depuis le début de l’année, et qui provient réellement de la force du dollar sur les marchés de changes, va nous coûter cher. L’encours de la dette publique a atteint 105,7 milliards dinars fin mars 2022, soit une hausse de 8,6% par rapport à la même période de l’année 2021. La stabilisation de la trajectoire de la dette publique, une condition sine qua non pour garder notre médiocre notation, est très loin d’être garantie.
Une prochaine révision du rating, par n’importe quelle agence, ne pourra aboutir qu’à la révision à la baisse. Un triste constat, mais nous devons l’admettre. Souvent, reculer est considéré comme une opportunité pour mieux sauter. Dans le cas tunisien, reculer, c’est plutôt une occasion pour chercher un nouveau fond.