L’histoire de la civilisation arabo-musulmane n’en finit pas de finir. Voilà un peu plus de quatorze siècle qui nous séparent du grand schisme qui a vu la communauté des croyants musulmans, unie sous le prophète Mohammed, l’Envoyé de Dieu, que toutes les bénédictions soient sur lui, se diviser en trois courants politico-religieux. A savoir: le sunnisme, le chiisme et le kharidjisme; à propos justement de la question de qui est musulman et de qui ne l’est pas. Et voilà encore une fois que cette problématique théologique se pose à nouveau en Tunisie. Et ce, sous une autre forme, en rapport avec le texte de la nouvelle constitution.
C’est toujours le même Sadok Belaïd, grand constitutionnaliste, qui est chargé par le Président de la République de rédiger avec ses pairs le texte de la nouvelle constitution. Et il vient de jeter un pavé dans la mare en déclarant supprimer l’article 1 commun aux deux constitutions de 1959 et de 2014. Lequel article stipule, selon qu’on soit islamiste ou moderniste, que l’Islam est la religion de l’Etat ou de la Tunisie. Le paragraphe aurait été rédigé à l’époque par Bourguiba lui même. Afin de trouver un compromis entre les tenants d’un Etat islamique et ceux un Etat laïque, donc sans religion.
Dans une déclaration à l’AFP, reprise par le Magazine l’Express, S. Belaïd justifie cet acte par la nécessité, d’empêcher les islamistes de s’en servir. Et ce, pour l’interpréter dans le sens d’un Etat qui doit imposer la charria. Opérant ainsi un retour en arrière vers un Etat théocratique. Car il est vrai qu’après leur prise du pouvoir depuis 2011, ils ont tenté systématiquement de pousser leurs pions pour créer un Etat de fait. Et même certains juges, qui leur étaient inféodés, avaient prononcé des jugements conformes à la loi charaïque en s’appuyant sur l’Article premier de la Constitution.
Mais ce texte n’est il pas l’incarnation suprême de la volonté populaire et celui qui donne un sens à la République?
Bourguiba, Ben Ali et même Saïed n’ont-t-ils pas éliminé les islamistes, en s’appuyant même sur l’Article premier? Alors, ne suffit-t-il pas d’une loi pour interdire les partis religieux? Tout pousse donc à croire que la vraie raison qui pousse notre constitutionnaliste à supprimer cet article n’est pas celle qu’il a invoqué.
Une République laïque?
L’on s’achemine, si l’on suit les partisans de la suppression de l’article un ou son amendement, pour qu’il ne contienne plus de référence à l’Islam, vers une République franchement laïque. Laquelle opère une séparation totale entre Religion et Etat.
Mais faut-t-il pour aller jusqu’au bout de cette logique abolir toutes les lois qui s’inspirent de la législation islamique? Comme celle de l’héritage qui interdit aux femmes d’avoir la même part que celle des héritiers mâles? Alors, il faudrait aussi supprimer la loi datant de l’époque beylicale qui interdit la vente des alcools aux Tunisiens musulmans; et ce, non seulement le vendredi et les jours des fêtes religieuse, car cette loi n’a jamais été abrogée. Comme aussi une autre loi datant toujours de l’époque beylicale qui assimile les femmes qui osent fréquenter les cafés (et pas seulement les bars) à des dévergondées. Et enfin ne plus imposer aux cafés et restaurants et mêmes aux bars, la fermeture pendant le Mois Saint. Un vrai casse-tête chinois!
Donc, un grand chantier de « dés-islamisation » des lois attend nos futurs députés. Sachant qu’on peut avoir une majorité hostile à cette nouvelle constitution, ou du moins son nouveau article un.
Nous ne pensons pas que Sadok Belaïd ait bien étudié les conséquences d’une telle décision; et ce, quant au chantier législatif qu’elle implique obligatoirement. Surtout que personne ne peut prédire quels sont les partis politiques qui contrôleront la future assemblée.
Cependant, ce qui est sûr, c’est que les partis qui domineraient cette institution seraient, selon tous les sondages, le PDL de Abir Mousi et Ennahdha ou son remplaçant. Et ces deux là sont hostiles à la suppression de cet article. Le premier parce qu’il se veut fidèle à l’esprit de la première République. Quant au second, parce qu’il milite en faveur d’un État islamiste.
A quoi servirait alors l’abrogation de l’article un et quelles sont les forces politiques qui s’appliqueraient à en perpétuer l’esprit? Nous parions que même Hamma Hammami, même s’il n’a aucune chance d’être représenté au parlement, militerait pour le maintien de l’article tel qu’il est actuellement.
Ce qui est sûr aussi c’est que le Président de la République est pour cette abrogation ou réécriture. Puisqu’il avait déjà déclaré qu’un Etat n’a pas de religion. Laissant bouches bées à l’époque ceux qui le situaient éventuellement du côté d’un Etat islamique. Il poussera certainement dans ce sens. Tout en sachant que paradoxalement l’appel au boycott du référendum le sert dans le sens où le nombre de ceux qui voteront oui sera proportionnellement supérieur à ceux qui voteront contre.
Ce qui compte n’est-t-il pas le pourcentage du oui et non celui de l’abstention. Car le taux d’abstention ne mettra jamais en cause le crédibilité et la légalité du scrutin.
En France, déjà pour les législatives, le taux de l’abstention a dépassé les 53%. Ce qui ne remet jamais en question le caractère légal et crédible des élections. C’est la règle fondamentale en démocratie. Pour ceux qui appellent au boycott et à l’abstention, le 25 juillet prochain, ils n’auront que leurs yeux pour pleurer.
La vraie raison qui aurait poussé KS et Belaïd à oser affronter un tel défi est de mettre le monde occidental, qui se range derrière l’opposition à KS devant un choix cornélien.
En effet, les pays occidentaux ne pourront qu’applaudir une telle initiative. Cette dernière ouvrirait la porte à d’autres lois. Comme celle de l’égalité des sexes devant l’héritage. Celle-ci figurant déjà dans un des accords entre l’Union Européenne et la Tunisie. Cette démarche a été déjà suivie par Béji Caïd Essebsi. Car, lorsqu’il s’est trouvé en difficulté politique en raison de la volte-face d’Ennahdha, il avait créé la fameuse commission dirigée par une féministe notoire. Et ce, pour mettre en accusation les islamistes d’Ennahdha, sauf qu’il n’avait pas osé aller jusqu’au bout.
Parions que KS le fera. L’opposition botte en touche. On ne peut logiquement plus parler d’une opposition. Mais bien d’une multitude d’oppositions, aussi diverses que divisées.
Des oppositions unies contre la personne du président
Leur seul point commun est une hostilité farouche non pas au programme que présente KS pour aller vers une nouvelle constitution et des législatives dont la date a été fixée en décembre prochain; mais à la personne du Président de la République lui même.
Et quand bien même il aurait fait un putsch le 25 juillet 2021, ce qui n’est pas le cas étant légitimement et légalement élu, les oppositions auraient du s’incliner devant le nouveau rapport de force. Profitant de la brèche ouverte par le référendum et la nouvelle constitution, sans parler, des législatives pour revenir en force. C’est ce que font toutes les oppositions du monde même après un coup d’Etat.
Mais nos oppositions ont choisi de botter en touche, refusant tout. En exigeant le retour à un ordre impossible. Et en réalité, en tablant sur une intervention étrangère qu’ils croyaient imminente. Comme ils l’ont déclaré à plusieurs reprises, avant même la date fatidique du 25 juillet 2022. Encore une fois, ils prennent leurs désirs pour des réalités. D’éternels adolescents de la politique!
Le référendum est un acte civilisé et politique
Le plus curieux c’est que même Abir Mousi qui se prévaut de la tradition politique bourguibienne et destourienne, connue par son pragmatisme, la politique des étapes et le sens des rapports de forces, est tombée dans le piège du tout ou rien… Mauvais calcul, car selon ses déclarations, KS n’en a plus pour longtemps et c’est là que réside l’erreur!
Les puissances occidentales et même nos voisins ne peuvent pas se payer le luxe de la déstabilisation de la Tunisie. Car ils en seront les premiers perdants. Avec la guerre en Ukraine et la situation en Libye, toute tentative de déstabiliser par la force la Tunisie est vouée à l’échec. D’autant plus que KS continue de jouir d’une popularité qui sera accentuée après le référendum. La réaction populaire en cas d’ingérence extérieure balayera et les islamistes et leurs alliés.
Rappelez vous de la journée du 25 juillet 2021. Sans l’intervention de KS le soir tous les locaux d’Ennahdha auraient étés brûlés et ses militants malmenés. Mais R. Ghannouchi a la mémoire courte!
Quant aux aventuriers comme Néjib Chebbi, ils ne pèsent plus dans la balance et c’est leur survie politique qu’ils ont mis en jeux. Encore des perdants!
D’autre part, faire son devoir citoyen et aller voter au référendum c’est un acte civilisé et politique. Et ce n’est point cautionner tout ce que fait KS ou son gouvernement. D’ailleurs c’est la nouvelle constitution qui ligotera les mains de ce dernier. Même si elle prône un régime présidentiel. Et puis une vraie opposition responsable ne peut l’être que dans le cadre d’institutions républicaines et non pas dans l’anarchie de la rue. Surtout que la « rue » méprise cette même opposition. Et ce ne sont pas les autobus bondés de gens payés à l’avance qui nous feront changer d’avis.
Désormais, le temps n’est plus aux jacqueries et aux vociférations insolentes et provocatrices. Dans quelques semaines les dés seront jetés pour ou contre la nouvelle constitution. Et selon le dicton tunisien « elli hajj hajj welli awwak awwak »(intraduisible).