À J-1 du second tour des législatives en France, la question se pose avec acuité : va-t-on vers une « cohabitation » Macron-Mélenchon ?
Un scénario que les résultats du premier tour n’excluent pas, mais qui demeure peu probable au regard des projections (en sièges) déjà réalisées par les instituts de sondage. Il n’empêche, l’arrivée en tête de la coalition de la gauche écologiste – sous l’étiquette Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) – est le fait marquant de ces élections.
Surtout que l’éventuelle arrivée du chef de la coalition de la gauche écologiste à Matignon (le palais du Premier ministre) n’est exclue ni par la Constitution, ni par la pratique politique du régime de la Ve République.
L’ambiguïté du régime politique français
En théorie politique et constitutionnelle, on aime à opposer les régimes de type présidentiel et parlementaire. Or la Ve République en France se présente comme un régime hybride échappant aux typologies classiques des différents régimes démocratiques.
D’un côté, la Constitution de 1958 établit les éléments constitutifs du régime parlementaire. De l’autre, elle consacre un exécutif fort, en général, et un président « clef de voûte des institutions », en particulier.
Un exécutif bicéphale formé à la fois par un gouvernement dirigé par le Premier ministre et un président de la République garant de l’unité nationale et des intérêts suprêmes de l’État. Une architecture générale qui n’est pas sans rappeler la Constitution de la Seconde République tunisienne…
La nature du régime politique français dépend de la concordance ou non des majorités présidentielle et parlementaire (c’est-à-dire des résultats politiques de ces scrutins).
En période dite « normale » ou « ordinaire », la majorité présidentielle et la majorité parlementaire coïncident. Elles ont la même couleur politique/partisane.
Dans cette configuration, le chef de l’État choisit librement le Premier ministre, qui lui est donc subordonné. Car il tire sa légitimité de la nomination présidentielle.
« La nature du régime politique français dépend de la concordance ou non des majorités présidentielle et parlementaire »
Toutefois, en cas d’absence de coïncidence entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, le président de la République doit « cohabiter » avec un Premier ministre d’une autre couleur politique, celle-là même de la majorité parlementaire d’où il tire toute sa légitimité.
Ainsi, la « cohabitation » est une manière pour la Ve République de revêtir les habits de régime parlementaire, par lequel le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire, gagne en liberté par rapport au président de la République.
J.-L. Mélenchon rêve de ce scénario. C’est ainsi qu’il affiche sa volonté d’être « élu Premier ministre » au terme d’élections législatives présentées comme un « 3e tour » (quelques semaines après son échec à l’élection présidentielle).
Certes, les formules qu’il a employées relèvent d’une sorte de « coup de force » sémantique et constitutionnel : non seulement l’élection présidentielle ne connaît pas de « 3e tour », mais le Premier ministre n’est pas élu, ni par les électeurs-citoyens ni par les députés. Il est nommé par le chef de l’Etat. Il n’empêche, en cas de cohabitation, le slogan « Mélenchon, Premier ministre » revêt tout son sens.
L’arbitrage du 2e tour des élections législatives
Quoi qu’il en soit, l’étendue réelle des pouvoirs du président de la République, en général, et sa marge de liberté dans l’exercice de son pouvoir de nomination du Premier ministre, en particulier, dépendront du résultat des prochaines élections législatives.
Ainsi, en cas de cohabitation, la récente déclaration d’Emmanuel Macron suivant laquelle « le président choisit la personne qu’il nomme Premier ministre en regardant le Parlement. Aucun parti politique ne peut imposer un nom au Président », serait fondée, constitutionnellement, mais largement dévitalisée, politiquement.
En effet, la nomination à Matignon d’une personnalité qui ne serait pas soutenue par la majorité parlementaire n’aurait aucune chance de survie politique. Sa responsabilité serait automatiquement engagée et sa chute annoncée.
Dès lors, en cas de cohabitation, si le Président de la République dispose toujours du pouvoir de nommer le Premier ministre, ce pouvoir ne revêt plus de véritable caractère discrétionnaire et serait soumis à la volonté de la majorité parlementaire victorieuse aux législatives.
Il est donc dans la logique démocratique du « bon fonctionnement des institutions » que le chef de l’Etat nomme une personnalité qui sied à la majorité. C’est ce qu’ont fait les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac.
Si l’hypothèse d’une nouvelle période de « cohabitation » (après celles de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) n’est pas à écarter, la cohabitation est d’abord une question de personnalité (celle des deux protagonistes de cette comédie politique en l’occurrence) : qui imagine E. Macron et J.-L. Mélenchon cohabiter ?