La Tunisie un Etat-nation ou une entité faisant partie d’une Oumma ? Le débat fait rage entre les laïques et les islamistes depuis le début du 19 siècle. Dans son intervention hier mardi à l’aéroport Tunis-Carthage pour saluer les pèlerins, le président de la République se fendait d’une analyse originale sur cette question. Laquelle figurera au cœur de la nouvelle Constitution. Mais sous quelle forme?
En attendant le jour J, précisément le 30 juin, date à laquelle le projet de la nouvelle Constitution sera révélé au grand public, les petites phrases, semi-révélations et mini-explications de Kaïs Saïed lèvent un coin du voile sur le texte fondateur qui sera soumis au référendum du 25 juillet prochain.
Kaïs Saïed: « L’Etat n’a pas de religion »
En effet, le président de la République Kaïs Saïed évoqua la Constitution actuelle et son fameux article premier relatif à la religion de l’Etat. Il s’exprimait ainsi lors d’un point de presse « improvisé » à l’occasion de sa visite, mardi 21 juin, à l’aéroport Tunis-Carthage. Afin de saluer les pèlerins qui se préparaient à se rendre à La Mecque pour accomplir les rites du Hajj. Et en présence de l’ambassadeur d’Arabie saoudite auquel il adressait indirectement une partie de son discours. Et ce, pour affirmer que l’islam ne sera pas inscrit comme « religion d’État. Car seules les personnes physiques ont une religion ». Mais, il y aura une référence à « l’appartenance de la Tunisie à une Oumma dont la religion est l’islam […] La Oumma et l’État sont deux concepts différents », tenait-il à préciser.
Sachant que le premier article de la Constitution de 2014 reprend à la lettre celui de 1959. Lequel stipule que la Tunisie « est un État libre, indépendant et souverain; sa religion est l’Islam, l’arabe sa langue et son régime la République ». Le préambule de l’actuelle Constitution évoque également « l’appartenance culturelle et civilisationnelle du peuple tunisien à l’Oumma arabe et islamique »; ainsi que « son identité arabo-islamique ».
Vers une nation musulmane ?
Ayant répété ad nauseam et sur un ton professoral qu’un Etat en tant qu’entité morale ne peut avoir de religion, il a expliqué que c’est la oumma qui est musulmane ou pas. « Et que c’est elle qui sera redevable devant Dieu et pas l’Etat. Lequel doit œuvrer pour l’accomplissement des objectifs de l’Islam et de la Chariâa ».
« Malheureusement, ceci a lieu au sein des régimes dictatoriaux. Ils créent les idoles et les vénèrent. Il s’agit d’une forme de blasphème! Ils créent des idoles. Ils créent Al-Lat et Al-Uzza (anciennes divinités de la jahilya préislamique. NDLR) La prochaine constitution parlera d’une nation musulmane », poursuit-il.
De toute évidence, le Président semble être en parfaite symbiose avec le doyen Sadok Belaïd, le coordinateur de Commission nationale consultative pour une nouvelle République. Puisqu’il lançait une véritable bombe médiatique en annonçant qu’il présenterait au Président un projet de charte « expurgée de toute référence à l’islam ». Et ce, afin de combattre les partis d’inspiration islamiste, à l’instar d’Ennahdha.
En ouvrant la boîte de Pandore de la hawiya « identité » de la Tunisie, l’éminent spécialiste en droit public met le doigt sur un sujet explosif et clivant. En effet, les laïques considèrent la Tunisie comme un Etat-nation. Alors que les islamistes qui avancent masqués, voient notre pays comme « faisant partie » d’une Nation englobant le monde musulman. Une notion vague d’un « empire » non délimité géographiquement, qu’habitent non des citoyens mais des croyants. Et dont le dénominateur commun est la culture et la civilisation islamique.
K. Saïed: Montesquieu n’est pas un messager de Dieu !
Sur un autre volet, et prié par un journaliste de préciser la nature du système de gouvernement qu’instaurera la nouvelle Constitution, le chef de l’Etat est resté évasif. « Qu’il s’agisse d’un système présidentiel ou parlementaire n’est pas la question. L’important est que le peuple dispose de la souveraineté ».
Et de préciser: « Pour le reste, il s’agit de fonctions et non pas des pouvoirs. La séparation des pouvoirs était discutable, puisque Montesquieu n’est pas un messager de Dieu ».
Rétropédalage ?
Evoquant à la fin de son discours la révocation des 57 magistrats, Kaïs Saïed rappelle le cas d’un juge (l’ancien procureur de la République, Béchir Akremi, NDLR). Ce dernier « avait été révoqué pour avoir délaissé 6452 dossiers durant dix ans ». A ce propos, il souligne que les magistrats en question avaient le droit de faire appel devant le Ministère public et auprès du Tribunal administratif.
Une concession présidentielle majeure, eu égard au Décret-loi n° 2022-35 du 1er juin 2022. Lequel stipule que la révocation d’un magistrat « n’est susceptible de recours qu’après le prononcé d’un jugement pénal irrévocable concernant les faits qui lui sont imputés ».
Alors, tendrait-il la main vers les magistrats? Ceux-ci étant en grève pour la troisième semaine consécutive. Et menacent d’ailleurs de mener demain jeudi 23 juin une Journée de colère. Et ce, pour dénoncer et réclamer « l’annulation du décret présidentiel relatif à la révocation de 57 magistrats par le président de la République ». Mais aussi pour « faire face aux tentatives de soumission du pouvoir judiciaire »?