Le jeu de la roulette russe consiste à appuyer sur la gâchette d’un pistolet à six coups. Sauf, qu’il est chargé d’une seule balle. Tout cela entre une poignée de têtes brûlées. Et chaque fois qu’une d’elles échappe à la mort, on fait tourner le barillet; avant de tirer jusqu’à ce que l’une des têtes explose! Précision, celui qui appuie sur la gâchette oriente le canon sur sa propre tempe. C’est alors qu’on arrête le jeu macabre. Le sort de la Tunisie se joue ainsi entre quelques têtes brûlées (masculines et féminines) qui s’évertuent à jouer le destin du pays à la roulette russe.
L’important pour eux est de faire exploser l’adversaire, mais au risque de se faire exploser soi même. Pas besoin de mettre des noms sur ces têtes, tout le monde les connaît en Tunisie.
D’ici le 25 juillet 2022, date du référendum sur une constitution, personne ne prétend jusqu’aujourd’hui, pas même ses pères-accoucheurs, connaître le contenu définitif. Puisqu’en dernier ressort, seul le chef de l’État décidera du texte final. Et ce, comme le stipule le décret décidé et publié par le chef d’État lui-même, nous nommons Kaïs Saïed. Le Président de la République légitimement élu par plus de 70% des voix. Et qui est devenu grâce à ce décret et à d’autres le maître absolu du jeu; et particulièrement du jeu de la roulette russe.
KS n’arrête pas de se tirer dans les pattes
L’ennui, c’est que KS, utilise lui même un langage guerrier en parlant de missiles et de foudres. Et à force de viser des ennemis souvent anonymes et donc invisibles, il tire dans tous les sens. Touchant parfois même ses propres amis politiques; et se tirant même des fois des balles dans les pieds.
Comme pour la rédaction de cette fameuse constitution! Alors qu’une grande partie de l’élite, bien pensante, a appuyé l’idée de fonder une nouvelle constitution de la Tunisie qui sera votée par référendum; comme ce fût le cas de la cinquième République française. Puisque celle de 2014 nous a mené directement dans l’impasse. En détruisant carrément ce qui restait de l’État après 2011. Voilà que KS s’est évertué à éliminer de la nécessaire concertation sur un sujet aussi capital pour l’avenir du pays tous ceux qui auraient pu enrichir le débat. Et participer ainsi à l’élaboration de ce texte primordial à la bonne fonction des institutions de la République.
En effet, seuls quelques illustres inconnu(e)s, du moins dans ce domaine qui requiert non seulement une culture juridique solide mais aussi une culture politique et une connaissance de l’histoire d’un haut niveau, y siègent. En dehors du doyen Sadok Belaïd grand professeur de droit constitutionnel de son état, et quelques autres juristes, les membres constituant les deux commissions décidées par décret présidentiel, sont d’illustres inconnu(e)s ou du moins des néophytes de la politique et des marginaux de la classe des intellectuels tunisiens.
On peut maintenant les critiquer alors qu’ils ont fini leur travail. Et si on n’a pas voulu le faire avant, c’était pour ne pas être accusé de vouloir torpiller le processus.
Or voilà que certains parmi eux n’arrêtent pas de d’auto-saborder comme Sadok Belaïd lui-même. Et ce, en multipliant les déclarations tonitruantes sur ce fameux texte, provoquant des réactions hostiles, et même des plus virulentes. Particulièrement à propos de l’article un des deux constitutions de 1959 et de 2014. Non pas seulement dans le camp des ennemis du processus, mais surtout dans le camp ami.
En s’attaquant à cette question épineuse du rapport du religieux à l’État, que 14 siècles de débats politiques et théologiques n’ont pas réglé, Kaïs Saïed s’est mis lui même dans un sacré pétrin. Ou le pétrin du sacré ! Il a en fait, utilisé la mauvaise balle dans le pistolet de la roulette russe. Plus que cela, il a gracieusement donné à ses ennemis islamistes l’arme dont ils comptent se servir politiquement.
Déjà dans les mosquées théoriquement contrôlées par son ministre, lui même plus qu’équivoque, en raison de son passé politique, les imams, recrutés à l’époque par Ennahdha et qui continuent tous à officier tranquillement, mènent une campagne de dénigrement de KS lui-même le traitant de « mécréant ». Ce qui est complètement faux, étant à coup sûr un musulman pratiquant et traditionaliste. Cette campagne est menée en Tunisie, en particulier dans le sud tunisien fief incontesté de l’islam politique.
A ces attaques prévisibles, somme toute, KS n’a pas trouvé mieux pour leur répondre, que de rendre visite à la délégation officielle tunisienne pour le pèlerinage à la Mecque. Pour annoncer aux futurs hajjs que leur Etat qui les envoie et les encadre pour accomplir cette cinquième obligation faridha de l’Islam, n’aura désormais plus de religion à partir du 25 juillet prochain. Il faut vraiment le faire! Et pour se rattraper il leur explique que c’est la oumma qui est musulmane. Mais sans préciser s’il s’agit de la oumma de la Tunisie (nation) ou musulmane. Ce malentendu servira ses détracteurs à l’affût du moindre faux pas, pour affirmer qu’il nous mène tout droit vers un État théocratique. Ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion générale.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que KS et son principal allié Sadok Belaïd n’ont pas les bons outils pour mener de front un combat théologique. Et ils ont fini en quelques déclarations à semer la confusion dans le camp moderniste. Si leur intention est bonne, de voire l’État débarrassé de l’hypothèque religieuse, les moyens et les arguments qu’ils ont utilisés sont en deçà de ce qu’il faut. En matière de religion, on marche toujours sur des œufs et même des œufs pourris.
Belaïd n’est plus Sadek
Le mot Sadek est l’un des 99 noms de Dieu et signifie le véridique. Et Sadek Belaïd était considéré non comme un Dieu, mais comme une personne sincère et de confiance. Sauf qu’il n’arrête pas de faire des bourdes. Comme celle où il a annoncé que la future constitution bannira de son contenu le mot « pouvoir » (soultat). Pour, dit-t-il éviter dorénavant, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire en Tunisie!
Montesquieu a dû se retourner plusieurs fois dans sa tombe et même Ibn Khaldoun et Ibn Abi Dhiaf! Car la dualité du pouvoir est l’essence même de l’État de droit! Il propose de remplacer ce concept par le mot wadhifa qui signifie fonction. Nous avons du réécouter plusieurs fois cette déclaration pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un fakenews. Malheureusement, c’est bien la triste réalité, Sadok Belaïd a assuré que la nouvelle constitution n’annoncera pas la séparation des pouvoirs, puisque le concept n’y figurera pas!
Alors, Sadok Belaïd aurait-t-il succombé au charme de KS? Et s’est-t-il livré à cette acrobatie pour contenter son parrain!? L’argument qu’il a trouvé bon d’évoquer est celui des juges qui se livrent actuellement de leur côté à un jeu dangereux; mais qui reste cependant conjoncturel et lié à la situation générale qui prévaut et dont le fait majeur est la déliquescence de l’État.
Or, on ne change pas l’esprit d’une constitution à cause d’une grève. Et on n’évacue pas un concept qui existe au moins depuis Platon pour un fait divers de l’histoire de la Tunisie.
La déclaration du doyen des constitutionnalistes est plus que choquante et nous pousse à se poser des questions sur les véritables intentions du duo KS-Belaïd!
En attendant de lire la copie officielle qui paraîtra le 30 juin, l’on préfère garder encore une petite dose d’optimisme! Après, comme le dit si bien le proverbe arabe, à chaque événement sa réplique! Et puis Belaïd qui n’est pas une sommité d’arabisant, ne sait-t-il pas que le mot wadhifa en arabe littéraire ne signifie nullement fonction mais, un rite propre aux confréries mystiques, comme la tijaniya. D’ailleurs, les traducteurs arabes des termes administratifs et juridiques n’ont pas trouver mieux que de l’utiliser pour signifier « la fonction » ? Le mot qui exprime la fonction est muhimmat d’où mukallif bi muhimma, pour le « chargé de fonction » ou mukallif bi maamouriya, où il y a le mot amr, c’est-à-dire, ordre.
Comme nous le rappelons, il est clair que cette commission désignée ne se compose pas de compétences. Du moins dans le domaine de la linguistique arabe ou tout simplement littéraire!
Là où notre cher constitutionnaliste, s’est fait prendre au piège. C’est lorsqu’à une question sur un plateau tv, il jura que si le chef de l’État a seul le pouvoir de décider du texte, en publie un qui n’est pas celui donné par Belaïd lui même, il le crierait sur tous les toits. Et il ferait même le tour de la Tunisie pour crier son opposition.
Pourtant, à la réception du texte, le chef de l’État devant les caméras, lui rétorquait que son texte était incomplet et gagnait à être amendé. En réalité l’on ne sait pas ce que répliqua le mandarin à son ancien élève. Mais l’on sait qu’il n’a fait aucun commentaire de « cette gifle » à la presse! Curieux non? Pourquoi alors claironner pendant des semaines que c’est son texte qui sera livré aux citoyens pour l’approuver ou le refuser?
Les détracteurs de KS n’avaient-t-ils pas raison quand ils nous avertissaient que le texte, le vrai, était déjà dans les tiroirs du bureau à la présidence? Trop de zones d’ombres qui nous poussent à rester en alerte et à bien étudier le texte final pour ne pas avoir à le regretter.
En matière de politique, et particulièrement quand il s’agit de lois et surtout de constitution, la confiance est un vilain défaut! Que dire quant les artisans de cette politique vous poussent tout le temps et tous les jours à rester constamment en alerte. Douze ans de règne de la tromperie systématique, de promesses fallacieuses, de mensonges éhontés, nous obligent à rester très vigilants; même si parfois il est trop tard. Mais il n’est jamais trop tard pour se rebiffer contre une grande injustice ou contre un tort que subit la Patrie. Car, qu’on vote pour ou contre le référendum, qu’on fustige ou glorifie la nouvelle constitution, seule la Tunisie importe! Tout le reste est de passage!