Il y a des signes qui ne trompent pas. L’accusation officielle de 33 personnes dont Rached Ghannouchi, leader historique du mouvement Ennahdha pour 17 chefs d’accusations dont « l’appartenance à une organisation terroriste et blanchiment d’argent » signifie que l’ère de l’impunité est révolue. Mais aussi que la magistrature, enfin libérée du joug des islamistes, se prononcera en toute liberté.
Rached Ghannouchi, l’homme qui tenait jadis entre ses mains les clés de la prison de Mornaguia, aujourd’hui au banc des accusés?
C’est ce qu’a assuré, mardi 28 juin à l’agence TAP, Imen Gzara, membre du Comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Soulignant à l’occasion que dans l’affaire de l’appareil secret du mouvement Ennahdha dont pas moins que 33 personnes dont Rached Ghannouchi, leader historique du mouvement Ennahdha et ancien président de l’ARP dissoute, ont été « officiellement » accusées. Elles sont poursuivies par le premier juge d’instruction au bureau 23 du Pôle judiciaire antiterroriste pour 17 chefs d’accusations dont « l’appartenance à une organisation terroriste et blanchiment d’argent ».
Sachant que la même source affirmait, le 1er juin 2022 lors d’une conférence de presse, que 34 accusés dont Rached Ghannouchi ont été interdits de voyage dans le cadre de la même affaire.
Pour rappel, le dirigeant islamiste était auditionné le 10 février 2021 par l’Unité de lutte anti-terroriste à la caserne de l’Aouina. Et ce, dans l’affaire de l’appareil secret du mouvement Ennahdha.
Rendre des comptes
Alors, faut-il voir dans cette annonce émanant du Pôle judicaire antiterroriste les signes avant-coureurs d’un retournement spectaculaire dont seule l’histoire connait le secret? La magistrature s’est-elle enfin rebiffée contre la mainmise de l’ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, sur l’appareil judiciaire durant la décennie noire. Laquelle a laissé croire aux dirigeants d’Ennahdha que tout était permis puisqu’ils étaient au dessus de la loi; donc intouchables?
Le cercle familial de Ghannouchi dans le pétrin
Le moment est-il venu pour que ces gens là répondent de leurs actes?
Oui, si on se réfère aux 17 chefs d’accusation, d’une extrême gravité, qui pèsent sur le cheikh de Montplaisir et son cercle familial. A l’instar de son fils Mouadh, sa fille Soumaya et son gendre, Rafik Abdesselam. Tous les trois faisant l’objet d’un avis de recherche lancé à leur encontre par le Ministère public. Car étant en état de fuite. Et dont les noms reviennent avec insistance dans la mystérieuse affaire de l’association Namaa. Affaire pour laquelle Hamadi Jebali, ancien chef du gouvernement avait été mis en cause. Sachant que ce dernier avait été brutalement interpellé à Sousse. Avant d’être relaxé, eu égard à son état de santé. Mais il sera de nouveau auditionné le 20 juillet prochain.
Pourtant, en dépit de charges très lourdes, entre autres appartenance à une organisation terroriste et blanchiment d’argent, faut-il s’attendre à des sentences rapides et proportionnelles aux délits et crimes qui auraient été commis par certains dirigeants du mouvement islamiste d’Ennahdha?
Timing judiciaire, temps politique
Non, car les procédures judiciaires ont leur propre timing et ne correspondent pas forcement au temps politique. Ainsi, il se passera probablement des années. Et ce, entre l’acte d’accusation prononcé, il y a deux jours, par le premier juge d’instruction au bureau 23 du Pôle judiciaire antiterroriste et le couperet du verdict final.
D’autant plus que traumatisée par l’affaire Bhiri, lequel fut relaxé après une arrestation jugée abusive faute de preuves; la justice aura à chercher patiemment. Notamment à démêler les nœuds entremêlés des affaires en relation avec le blanchiment d’argent. Et ce, avec leur réseau opaque de sociétés-écrans et de paradis fiscaux. Sans omettre de prouver leur corrélation avec les affaires liées au terrorisme. Le tout étayé par des preuves matérielles tangibles et irréfutables.
Ainsi, cette besogne s’annonce harassante et de longue haleine. Elle risque de surcroit de mobiliser des dizaines d’experts financiers aguerris. Et elle ne peut se faire que dans la sérénité; sachant que cela prendra le temps qu’il faut. A moins de recourir aux verdicts expéditifs indignes d’une « nouvelle République » que l’on nous promet.