Des deux côtés de la frontière, des récits différents, mais une visée identique. Survolez des articles publiés par des médias gouvernementaux ou pro-gouvernementaux et vous remarquerez l’étendue de la guerre médiatique entre le Maroc et l’Algérie. Il suffit d’une déclaration, d’un geste ou d’une graine de couscous pour rompre la trêve médiatique qui aura duré le temps d’un clin d’œil. La guerre du spectacle!
Des interrogations d’une profonde portée surplombent le paysage maghrébin: le couscous est-il marocain ou algérien? Le caftan est-il marocain ou algérien? Qu’en est-il du tajine? Exclusivement tunisien? Ah oui, et les dattes?
Terribles apories. Inextricables. Notre controverse de Valladolid à nous.
Quitte à s’intéresser à ces questions d’ordre existentiel, autant se demander si l’Algérie est marocaine, le Maroc tunisien, la Tunisie mauritanienne et la Mauritanie libyenne.
Ces querelles byzantines autour de la paternité du couscous ou du tajine reviendraient au fond à s’interroger si mon cerveau appartient à mon voisin de palier Omar et mon cœur à mon oncle Hamid.
Cerveau ou cœur; ils sont fondamentaux au corps qui les lie et à l’âme qui les signifie. Cerveau ou cœur; ils forment des parties spécifiques d’un tout cohérent.
Cerveau ou cœur ; aux rôles distincts, mais d’un tout cohérent
Cerveau ou cœur. Maroc ou Algérie, Tunisie ou Mauritanie. Ils font partie d’un même corps: le corps civilisationnel qu’est le Maghreb. Un corps à la géographie méditerranéenne et africaine, à la culture arabo-musulmane et aux origines Amazighs.
Et pourtant fracturés sommes-nous
Fracturés sommes-nous; alors même qu’existe de l’autre côté de la rive un modèle d’intégration régionale. Bien évidemment, la montée de l’euroscepticisme, la prolifération des mouvements populistes et la multiplication des critiques vis-à-vis de Bruxelles, ébranlent sans aucun doute la légitimité du projet européen.
Mais il y a également dans la construction européenne la preuve probante que le Maghreb est une union en puissance qui a tout intérêt à le devenir en acte. Il y a dans la construction européenne une illustration quasi-parfaite de la plausibilité d’une intégration maghrébine.
L’UE, c’est d’abord 27 membres et 24 langues officielles. Des pays au passé conflictuel, pétri de guerres incessantes. Des pays latins, germaniques ou slaves et des pays catholiques au Sud, orthodoxes à l’Est, et protestant au Nord. Somme toute, l’UE a réussi le pari d’unifier un continent profondément complexe aux multiples facettes.
Qu’en est-il alors de notre Maghreb ? De toutes les régions du monde, nous disposons d’éléments anthropologiques similaires, et de potentialités économiques complémentaires, à même de ressusciter l’union maghrébine.
Nos similitudes ne devraient-elles pas être notre force? Ne devraient-elles pas sous-tendre notre union? Ne nous montrent-elles point que nous, citoyens du Maghreb, avons plus intérêt à s’intégrer, à s’unir, à se joindre qu’à s’entre-trahir, se désunir et s’opposer?
En effet, la réussite de l’UE, malgré la grande complexité du vieux continent, ne devrait-elle point nous pousser, nous Maghrébins, au nom de notre identité maghrébine, à croire en un Maghreb uni, puissant et prospère?
Le Maroc s’est engagé dans le préambule de sa constitution d’œuvrer pour la construction de l’Union du Maghreb, comme option stratégique. Pourvu que l’Algérie ait la sagesse de prendre la main tendue par le Maroc pour un dialogue serein et constructif.
Vivement le jour où cesseront ces querelles byzantines. Vivement le jour où tu pourras prendre un train de Casa à Tripoli, de conduire de Tunis à Fès, passant par Alger, et de Fès à Nouakchott. Et vivement le jour où tu naîtras, vivras et disparaîtras dans un Maghreb Uni et prospère. Byzance n’est plus depuis des siècles, il est aussi temps de supplanter nos querelles byzantines par une harmonie maghrébine.
Par Taha Bekhtiar