Dans le projet de la nouvelle Constitution, publié dans la soirée du jeudi 30 juin 2022, le sujet central de la place de l’Islam dans le texte fondamental qui sera soumis à un vote référendaire le 25 juillet 2022, prête à plusieurs interprétations. Lecture rapide des dispositions de l’article premier et notamment de l’article 5 de la « Constitution de Carthage ». Nous y reviendrons.
Quelle place accorder à l’Islam dans le nouveau projet de la Constitution? Religion de l’Etat tunisien ou de la Umma, communauté musulmane? Par contre, ne pas faire référence à l’islam, n’est pas un signe de laïcité?
La réponse à cette question qui a déchainé tant de passions est tombée dans la soirée du jeudi vers 21h10. Et ce, quand le président de la République Kaïs Saïed a promulgué le décret-loi portant publication du projet de la nouvelle Constitution. Lequel sera soumis à un vote référendaire le 25 juillet 2022. Ce projet de la nouvelle Loi fondamentale devra remplacer celle de 2014. Il est donc publié au Journal officiel de la République tunisienne n°74 du 30 juin 2022.
Rien n’a été tranché dans le vif
La question de la place de l’Islam a-t-elle été définitivement résolue? Non, car loin de trancher dans le vif, la nouvelle mouture a botté en touche en scindant l’article premier de la Constitution de 1959 et 2014 en plusieurs articles. Lesquels expriment différentes connotations.
D’abord, le projet de Constitution ne comporte par ailleurs aucune mention de l’islam comme « religion d’État ». Et ce, comme l’avait déjà annoncé à l’AFP le 6 juin Sadok Belaïd. A savoir, le juriste qui a chapeauté la commission chargée de la rédaction de ce texte. Et ce, afin de « combattre les partis d’inspiration islamiste comme Ennahda », bête noire du Président.
Ainsi, à la place de l’ancien article premier qui stipule que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime », le même article dans la nouvelle version dite « Constitution de Carthage » qui devra être votée lors du référendum du 25 juillet 2022, ne fait pas référence à l’Islam. Puisque qu’il se contente de préciser que « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain ».
L’énigmatique article 5
Toutefois, la référence à l’Islam figure en toute lettre à l’article 5. Lequel annonce en effet que « La Tunisie est partie intégrante de la Umma musulmane. Seul l’Etat œuvre à concrétiser les makased (fondamentaux, objectifs, finalités. NDLR) de l’Islam en matière de respect de la vie humaine, de la dignité, des biens, de la religion et de la liberté ». Sachant que le préambule insiste également sur « l’appartenance de la Tunisie à la nation arabe et à son attachement aux dimensions humaines de l’Islam ».
Un grand ouf de soulagement
Ouf, nous l’avons échappé belle. Le Président n’avait-il pas indiqué, lors de sa dernière apparition médiatique, à l’aéroport de Tunis, le 21 juin, face à des pèlerins qui se préparaient à se rendre à la Mecque pour accomplir les rites du Hajj, qu’un Etat en tant qu’entité morale, ne peut avoir de religion. Et que c’est la Umma qui est musulmane ou pas; et que par conséquent, il fallait inscrire « la notion de « Umma islamique » dans la Constitution. Ajoutant que « l’État doit œuvrer pour accomplir les finalités de l’islam et de la charia » ?… Sic?
Mais, est-ce le rôle de l’Etat? Car si l’Etat veille à la bonne application d’une religion, l’Islam, cela lui confère un rôle qui ne figure pas dans ses prérogatives. Et puis, dans cette configuration de la communauté musulmane, quels seront les droits des minorités religieuses? Ahl el dhemma, traduisez des citoyens de seconde zone?
Une déclaration qui faisait froid dans le dos. Car, rien que l’évocation du concept de la charia renvoie aux desseins les plus sombres de l’Islam politique.
Le Président de la République Kaïs Saied- qui tenait à mettre son empreinte personnelle sur cette constitution qu’il veut historique et qui avait certainement corrigé et amendé le projet de la Constitution élaboré au sein de la commission consultative pour une nouvelle République présidée par le doyen Sadok Belaïd- a de toute évidence fait marche arrière. En ayant pris conscience que la simple mention du référentiel religieux, la cauchemardesque charia, est du pain béni pour Ennahdha, adepte de l’Islam politique qu’il honnit tant.
Faut-il rappeler à ce propos que les islamistes, qui avaient tout fait en 2012 pour inscrire la charia comme source unique des lois dans la Constitution de 2014, avaient accepté, la mort dans l’âme que l’article premier, demeure inchangé? Ainsi soit-il.