Dans un remarquable éditorial consacré à la Tunisie, Le Point, hebdomadaire français de référence, pointe du doigt une singularité bien tunisienne. A savoir que: alors que l’économie est exsangue, que la pauvreté s’étend à vue d’œil et que paix sociale est gravement menacée; la classe politique n’a de yeux que pour le dossier constitutionnel. Alors que l’urgence est ailleurs.
Il y a péril en la demeure Tunisie. Pourtant, s’étonne l’auteur de cet article paru il y a deux jours sur le site Le Point, le président de la République, Kaïs Saïed « a fait le choix de dédaigner la détresse économique et sociale pour se concentrer sur le chantier constitutionnel. C’est là sa faute cardinale. Le 25 juillet, premier anniversaire de son coup de force, il va soumettre à référendum un projet de constitution qui consacre la dérive autoritaire de son régime ».
Les sept plaies de la Tunisie
« Que de temps perdu! La Tunisie est aujourd’hui au bord de la cessation de paiements. Elle est incapable de rembourser les 35 milliards d’euros de sa dette publique, qui représentent plus de 80% de son produit intérieur brut. Une fois de plus, elle doit tendre la main », s’exclame l’éditorialiste.
A qui le faute? « Aux attentats djihadistes, à la pandémie de Covid, qui a dévasté le secteur du tourisme. Sans oublier le renchérissement de l’énergie et des céréales, que la guerre en Ukraine a exacerbé ».
Et d’égrener les sept plaies de la Tunisie: « Les trois quarts des Tunisiens ne mangent de viande qu’une fois l’an, lors de la fête de l’Aïd al-Adha qui a été célébrée cette année le 9 juillet. Le mouton y valait 8% de plus que l’an dernier. Le taux de chômage atteint 42% chez les jeunes. Plutôt que de vivre dans le marasme, beaucoup d’entre eux préfèrent embarquer dans des bateaux de fortune, au péril de leur vie, pour rejoindre l’Italie et, au-delà, la France ».
Et même si le FMI et l’Union européenne soutiennent la Tunisie à bout de bras depuis dix ans; « les réformes profondes qu’ils réclament à cor et à cri restent dans les tiroirs ».
Priorité au volet économique
Alors que faire? Pour le rédacteur en chef du service Monde du Point, la solution est ailleurs.
« Plutôt que de modeler les institutions à sa main, Kaïs Saïed, devrait réparer l’économie. Il devrait monter en première ligne pour combattre le chômage, attirer l’investissement étranger, lever les obstacles à l’entrepreneuriat, garantir l’indépendance de la justice, remettre en bon état les services publics de base, en particulier l’hôpital et l’école, faire maigrir une fonction publique pléthorique. La Tunisie, avec 12 millions d’habitants, entretient autant de fonctionnaires que l’Allemagne, qui a une population sept fois plus nombreuse et une économie autrement plus solide », a-t-il encore constaté.
Par ailleurs, le journaliste rappelle à juste titre qu’au début des années 1970, la Tunisie avait un PIB par tête équivalent à celui de la Corée du Sud. Un demi-siècle plus tard, il lui est dix fois inférieur. Amer constat!
L’exception tunisienne
Pourtant, fait observer l’éditorialiste du quotidien Le Point, « en dépit de cet environnement troublé, la Tunisie a longtemps été à l’avant-garde. Elle fut la première dans le monde arabe à instaurer une (encore imparfaite) égalité entre hommes et femmes, la première à se doter d’une constitution écrite, son expérience démocratique reste, à ce jour, la plus aboutie ».
Bourguiba et la matière grise
Alors, si le présent est aussi sombre, qu’en est-il de l’avenir?
Sur un autre registre, le correspondant permanent du Point en Tunisie, Benoît Delmas, brosse de notre pays un tableau plutôt porté sur l’avenir.
Dans un article intitulé « Tunisie : la baraka des filles », le journaliste rappelle la doxa de Habib Bourguiba. Elle était que « la Tunisie n’avait pas de pétrole, mais de la matière grise ».
« Bourguiba troqua le derrick pour la blouse de l’instit, le jerricane pour le crayon, la rente pour le labeur: il embarqua son pays dans la voie des études. Il imposa la scolarité pour tous et toutes malgré d’immenses difficultés ».
Pour quel résultat? « En instituant l’égalité homme-femme à l’école, une génération Bourguiba est née. Elles sont pilotes, cheffes d’entreprise, avocates, médecins, banquières, juges, procureurs
À tous les échelons de la société, les femmes sont présentes. Dans l’ancienne Assemblée, la parité avait été instaurée par la loi électorale. En 2022, c’est une championne qui fait battre le cœur de la Tunisie: Ons Jabeur, numéro trois mondiale de tennis, qui enchaîne les victoires et soude toute une nation quand ses matchs sont diffusés. Et Najla Bouden est cheffe du gouvernement depuis septembre dernier ». Ainsi, s’enthousiasmait l’auteur de cet article.
Disons pour conclure que l’hommage rendu par le journaliste français, fin connaisseur de « l’exception tunisienne » nous rappelle que dans cette grisaille ambiante, et alors que nous touchons le fond, il demeure une lueur d’espoir. En effet, ce petit pays, niché entre deux géants gorgés d’hydrocarbures, est capable, tel un phénix, de renaître de ses cendres. Et, il l’a prouvé tout au long de son histoire millénaire!