A un jour d’intervalle, la professeure Salsabil Klibi et le bâtonnier Brahim Bouderbella se sont prononcés sur les deux moutures du projet de Constitution. Leur discours reflète deux approches politiques et sociétales à l’antipode l’une de l’autre. Les deux côtés de la médaille.
Voter pour ou contre le projet de Constitution conçu et voulu par le président de la République, Kaïs Saïed lors du scrutin référendaire du 25 juillet. Ou recourir au boycott de tout le processus présidentiel censé aboutir à la nouvelle République? Appeler à modifier le dit projet, en prenant en compte la mouture, beaucoup plus progressiste et moderniste présentée par l’équipe du doyen Sadok Belaid. Et, par conséquent, retarder sine die la date du référendum. Et ce, pour prendre le temps nécessaire de faire la synthèse presque impossible entre les deux versions diamétralement opposées?
A dix jours de cette date fatidique, les avis des uns et des autres parmi les experts, notamment en droit constitutionnel, sont vivement sollicités. Et ce, afin de démêler les fils d’un imbroglio politico-juridique des plus complexes. Et qui mieux que la professeure de droit public et de droit constitutionnel, Salsabil Klibi et le bâtonnier Brahim Bouderbela, tous les deux très présents ces derniers temps sur les antennes des radios privées, pour éclairer notre lanterne?
Nouvelle version ou copie révisée ?
Tout de go, l’enseignante à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis estime que la mouture du 8 juillet du projet de Constitution « est une nouvelle version. Non une copie révisée qui a fait l’objet d’une amélioration linguistique; ou qui a été modifiée par voie d’ajout ou suppression ». Pourquoi?
Parce que, expliquait Salsabil Klibi hier jeudi sur les ondes de Mosaïque FM, « selon le décret appelant les électeurs au vote, la date limite pour publier le projet de Constitution au JORT était le 30 juin ». Par conséquent, « tout ce qui est publié après cette date est considéré comme un nouveau projet. Et ne se base, en aucun point, sur le décret ». Tout à fait logique !
Ainsi, « la version du 8 juillet n’a pas de lien avec celle du 30 juin. Car, en plus des corrections, des erreurs et des fautes de frappe, des éléments ont été supprimés et d’autres ont été ajoutés », constate-t-elle.
Klibi : « L’article 5 est un piège »
D’autre part, pour la juriste, la deuxième version n’est en rien meilleure que la première. Puisque les règles générales citées dans l’article 5 de la version du 30 juin n’étaient qu’ « un leurre ». Ce fameux article par ailleurs fort contesté, « a caché les autres dangers du texte ».
« Les dispositions générales énoncées dans l’article 5 dudit projet, celles relatives à l’identité nationale, ont été « un piège » tendu pour détourner l’attention vers d’autres lacunes et insuffisances constatées dans le texte ».
De plus, poursuit Mme Klibi, la version du 8 juillet ajoute le terme « sous un régime démocratique ». Alors que l’idéal aurait été de dire « un état démocratique » ou « une société démocratique ». Car, le régime démocratique « est celui qui permet d’instaurer des institutions issues des élections. Et il est capable de fixer les orientations religieuses ou pas ».
Alors, « rien n’empêcherait Kaïs Saïed d’islamiser les institutions de l’Etat, les lois et la société tunisienne; même si la mention « au sein d’un système démocratique » existe dans le texte ». Ainsi, a-t-elle martelé, en marge d’une conférence de presse organisée par des syndicats et organisations de la société civile. Et ce, sur le contenu du projet de constitution du locataire de Carthage.
Lumineuse analyse.
« Un président omnipotent et omniprésent »
Par ailleurs, et en rapport avec le statut du président de la République dans la nouvelle Constitution, l’universitaire estime qu’à l’image de la constitution du 30 juin, celui-ci « dispose de larges prérogatives dans les domaines exécutif, législatif et judiciaire ». Soulignant que la nouvelle Constitution, tout comme celle du 30 juin, viennent incarner la posture « d’un président omnipotent et omniprésent, qui a la haute main sur les autres pouvoirs ».
Bouderbala : « Il s’agit d’une œuvre humaine »
Autre son de cloche. Celui du bâtonnier de l’Ordre national des avocats tunisiens, Brahim Bouderbala. En effet, celui-ci affirme que le projet de la nouvelle constitution élaboré par le président de la République « était le plus proche du peuple et de ses attentes ». Reconnaissant tout de même que la version élaborée par Belaïd et Mahfoudh était « juridiquement et académiquement parlant meilleure que celle soumise au référendum ».
Invité mercredi 13 juillet 2022 sur les ondes Mosaïque FM, Brahim Bouderbala a expliqué le fait que la constitution de 2014, laquelle avait divisé le pouvoir exécutif et causé ainsi un blocage politique, était parmi les raisons ayant poussé vers la mise en place d’un système présidentiel.
« Le projet de la nouvelle constitution est une œuvre humaine. Celle-ci peut satisfaire ou non, à des degrés différents. Je considère que le taux de satisfaction concernant ce projet est supérieur à celui du refus. Selon la logique, la version finale du projet de constitution est plus proche du peuple tunisien, car elle s’adresse à la conscience des Tunisiens ».
Et de conclure: « Le nouveau projet de Constitution apportera la stabilité politique, sociale et économique ».
Nous laissons à nos chers lecteurs le soin de départager les deux discours, aux antipodes, de l’universitaire et du Bâtonnier. En votre âme et conscience…