Dans mon article précédent « Que faire de cette Constitution ?», je me sentais face à un dilemme. En effet, le Président de la République Kaïs Saïed nous propose un référendum pour une nouvelle constitution dont il est le seul auteur. Seulement, entre le flou de l’article 5 qui ouvre la voie à une théocratie, un régime présidentialiste absolu et une impunité totale pour le chef de l’Etat qui n’aura plus aucun contrepouvoir pour stopper toute dérive possible, je ne savais plus quelle attitude adopter.
J’ai fait partie de celles et ceux qui ont envahi les rues le soir du 25 juillet 2021 pour exprimer ma joie. Ma joie de voir la fin d’un parlement devenu folklorique. Ma joie de voir la fin d’une comédie démocratique entachée par la corruption morale et politique de certains acteurs indécents et indignes de notre parcours, du sang de nos martyrs et de notre Histoire millénaire.
Aujourd’hui, un an plus tard je sais combien j’ai été naïve de croire que cela pouvait enfin être la fin du cauchemar. Oui, j’ai été naïve tout comme au lendemain du 14 Janvier 2011, en pensant que l’éveil d’un peuple allait nous mettre à l’abri des dictatures pour atterrir enfin sur la voie des pays développés. Comment ne pas être naïve lorsque nous n’avons évolué qu’au sein de dictatures, aussi éclairées puissent-elles être? Comment des élites engendrées par des dictatures pouvaient-elles accouchées d’une démocratie? Où, quand et comment auraient-elles appris le comportement démocratique?
Aujourd’hui après onze années d’observation, j’ai compris que la démocratie en plus d’être une mentalité, c’est un processus qui se développe au fil du temps et des expériences. J’ai compris aussi qu’elle nécessite une certaine maturité politique et économique. Une maturité politique qui donne la capacité de réfléchir et de choisir de manière constructive et inclusive; ainsi qu’une maturité économique qui réduit au maximum toute possibilité de corruption financière. Tout ce dont nous sommes encore assez loin.
Or, le peuple tunisien est appelé le 25 juillet 2022, à travers un référendum, à voter par un Oui ou par un Non à cette toute nouvelle Constitution dans son ensemble; et ce, afin de donner naissance à une troisième République.
De mon point de vue et au vu du contexte actuel, le problème dépasse le Oui ou le Non. Il se situe plutôt dans une évaluation la plus correcte possible de l’impact de chaque choix.
En effet, beaucoup à tort ou à raison, soutiennent par principe le Président. Ils sont accompagnés en cela par un Gouvernement qui met à la disposition du Président, tous les moyens de l’Etat. Souvent, rien que le rejet absolu d’Ennahdha, suffit à d’autres pour voter par un Oui. Comme il y en a aussi beaucoup qui ne cherchent qu’à se positionner dans cette nouvelle République. Une occasion qui ne se représentera pas de sitôt. Tout comme nombreux sont ceux qui pensent qu’un vote majoritaire par un Oui, et même à contrecœur s’il le fallait, donnerait au Président la légitimité nécessaire pour gouverner librement et de manière stable. Ce qui éviterait une nouvelle comédie démocratique qui a donné de très mauvais résultats et nous a laissé un très mauvais souvenir.
Quel serait l’impact de ce Oui?
Le problème à mon sens c’est qu’un Oui majoritaire, face à la faiblesse de l’opposition, favoriserait largement un retour à une dictature; si ce n’est carrément à une théocratie.
Qu’on le veuille ou pas, un régime autoritaire représente un certain confort pour une grande majorité qui n’a pas l’habitude de gérer ni sa liberté ni sa citoyenneté. Alors qu’il lui suffit de s’adapter à un système qu’elle connait déjà assez bien face à une nouveauté inconfortable qui l’effraye.
Venons-en à un vote majoritaire par un Non. Il exprimerait certes et d’une manière très claire un refus catégorique de cette volonté de passage en force d’une nouvelle Constitution qui n’arrive ni à rassurer ni encore moins à rassembler.
Seulement quel serait l’impact de ce Non?
Les forces dites progressistes sont-elles aujourd’hui capables de mobiliser pour un Non face à la propagande gouvernementale pour le Oui? Et d’autre part, ces différentes forces proposent-t-elles une stratégie claire et unifiée concernant la suite?
Malheureusement non. Et ce, pour la simple raison que ces forces sont non seulement faibles; mais elles sont aussi divisées.
Par ailleurs, même si par miracle le Non devait l’emporter, la suite resterait d’un très grand flou entre une opposition faible et divisée et un Président qui n’a même pas prévu de stratégie à suivre au cas où cette option l’emporterait. Le plus grave étant que la situation économique ne pourrait supporter un tel flou et encore plus de tâtonnements.
Par conséquent, que le vote par un Oui soit majoritaire ou que le vote par un Non le soit, l’impact et les conséquences des deux votes seront négatifs. Le Président ayant déjà tous les pouvoirs en main, les deux votent mèneront forcément à plus d’autoritarisme.
Sachant que de toute façon le Oui l’emportera, entre le nombre de Oui et le nombre de Non, le Président amassera une base plus importante de participants. Et ainsi, il clamera haut et fort que son référendum était tout ce qu’il y a de plus démocratique, puisque chacun aura pu s’exprimer.
Entre deux maux, il reste l’abstention
Beaucoup diront que l’abstention ne compte pas. Ceci est vrai d’un point de vue légal. Par contre d’un point de vue psychologique et moral, l’abstention en masse réduira considérablement la légitimité de cette nouvelle Constitution. Et quel que soit le maquillage que l’on pourrait appliquer aux résultats, le Président, lui, le saura.
Bien entendu, il ne tiendra compte que du Oui qu’il tentera de faire passer comme majoritaire. Par contre, il ne pourra en aucun cas se vanter d’une légitimité qu’il ne pourra jamais prouver.
Sans vouloir entrer dans un procès d’intention comme beaucoup le croient, s’il existe différentes possibilités de transformer les Non en Oui comme nous l’avons déjà vécu par le passé, il n’y a pas beaucoup de possibilités de transformer les abstentionnistes en participants. Et donc au final de pouvoir s’offrir une légitimité démocratique.
C’est précisément ce manque de légitimité qui nous permettra à tous, sans déstabiliser le pouvoir et même si nous demeurons divisés, de pouvoir continuer à mettre la pression et d’obtenir des résultats. Ne l’avons-nous pas vu dernièrement après la correction de cette même nouvelle Constitution?
Aujourd’hui, même le monde extérieur se positionne du côté du peuple tunisien. Profitons-en, car la pression extérieure des bailleurs de fonds qui payent les salaires des Tunisiens est encore plus payante que notre propre pression. A notre rythme, il sera loin encore le temps où nous pourrons parler de souveraineté nationale.
Continuons surement et sereinement notre marche vers la démocratie afin d’aboutir à des jours meilleurs pour tous.