Dans un long entretien accordé lundi 18 juillet au média pro-qatari Al-Araby Al-Jadeed, à la veille de comparaitre en tant qu’accusé devant le juge d’instruction du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, le gourou spirituel du parti islamique Ennahdha a tenu un discours très agressif contre le chef de l’Etat. En effet, R. Ghannouchi l’accuse « de légitimer la violence, de préparer le terrain pour un conflit civil et de diviser les Tunisiens ». Cherche-t-il à se poser encore une fois en une éternelle victime et à prendre ainsi ses parrains du Golfe à témoin?
Pour Rached Ghannouchi, recourir aux médias étrangers pour camper le rôle de la victime innocente persécutée par la dictature rampante est une manie dont il a du mal à se débarrasser.
Qu’à cela ne tienne! A une semaine du scrutin référendaire sur le nouveau projet de Constitution qu’il a qualifié de « processus illégal et inconstitutionnel visant à légitimer un coup d’État ». Et à la veille de la date fatidique du 19 juillet 2022, où il sera entendu en tant qu’accusé par le juge d’instruction du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme et interrogé sur ses liens avec l’association Naama Tounes. Le leader historique du parti islamiste Ennahdha et ex-président de l’ARP dissoute a accordé hier lundi 18 juillet une longue et virulente interview explosive à Al-Araby Al-Jadeed. C’est un média panarabe lancé pour la première fois en 2014 en tant que site d’information en ligne par la société qatarie Fadaat Media dont le siège est à Londres. Un choix pas si innocent que cela et un clin d’œil appuyé aux maîtres de Doha, chantres et parrains de la confrérie des Frères musulmans.
Ghannouchi : « Mon arrestation est normale et attendue »
A la question de savoir comment il gère personnellement la possibilité d’être arrêté le 19 juillet, Ghannouchi, faussement très zen, l’a qualifiée de « normale et attendue ». Puisque « tout est possible quand on vit sous une dictature. Rien ne peut être exclu lorsque vous traduisez les discours de Kaïs. Vous ne trouverez que des guerres, des querelles, des prisons et des procès ».
Vous remarquerez au passage que faisant fi du rang du président de la République, il n’évoque que son prénom. Et ce, pour donner l’impression qu’il s’agit de son rival politique et non du chef de l’Etat tunisien. Ultime provocation avant que le couperet de la justice ne tombe, sa tête avec?
Dans un mea culpa savamment calculé, Rached Ghannouchi, avoue regretter son soutien à Kaïs Saïed lors de l’élection présidentielle de 2019. Il le qualifie d’ailleurs de « grave erreur ». Ajoutant humblement: « Même si cela partait d’une bonne intention, en politique, les intentions ne suffisent pas. Nous avons pris la mauvaise décision ».
« Le prochain référendum n’a aucune légitimité »
Et que penser du projet de constitution qui sera soumis au scrutin référendaire le 25 juillet prochain?
Le cheikh de Montplaisir persiste et signe. « Le prochain référendum n’a aucune légitimité auprès du peuple tunisien. Nous sommes en présence d’une constitution qui ne contient aucune essence de la pensée démocratique moderne; ni aucune trace d’équilibre entre les pouvoirs exécutifs qui peuvent se tenir mutuellement responsables ». Ainsi affirme Rached Ghannouchi. Tout en martelant que le Président « est en train de légitimer la violence, de préparer le terrain pour un conflit civil et de diviser les Tunisiens ». Pas moins que cela!
« Dialoguer sans le Président »
D’ailleurs, a-t-il ajouté, « la fadeur » qui caractérise la campagne actuelle pour le référendum « est la preuve que les Tunisiens n’ont pas pris au sérieux le projet de constitution du président de la République, Kaïs Saïed. Les Tunisiens considèrent ce projet rétrograde et appartenant dans sa quintessence à l’époque précédant la réforme islamique ».
Et que faire face au « refus du dialogue » par le locataire du palais de Carthage? « La résistance à la dictature est actuellement la priorité absolue. Si Saïed refuse de s’engager, comme je m’y attends, nous devons avoir le dialogue sans lui ».
Ainsi, M. Ghannouchi, qui risque aujourd’hui même de passer sa première nuit à la Mornaguia, se projette déjà dans le futur. Et il se proclame chef de l’opposition, seul capable d’engager le dialogue sans « lui ».
Mais alors, avec qui dialoguer? Certainement avec le triste Front de salut de Nejib Chebbi. Ce dernier, avec une poignée de ce qui lui reste de fidèles, cherche à relancer une carrière désastreuse. Et ce, grâce à une alliance contre nature avec les islamistes d’Ennahdha.
Sacrifice suprême
Soufflant tour à tour le chaud et le froid, le nostalgique ex-président du Parlement annonce haut et fort que son parti « est prêt à tout abandonner pour sauver la démocratie ». Et même, sacrifice suprême, « à se retirer du pouvoir » comme il l’avait fait en 2013. Notant au passage qu’il préférait lui-même « être un simple citoyen au sein d’un système démocratique que président sous un régime dictatorial ». Ô Grandeur d’âme, Ô sacrifice suprême!
A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur; l’inhumanité de fermeté; et la fourberie, d’esprit. Dixit Jean de La Bruyère.
A méditer.