Depuis la révolution iranienne de 1979, les relations entre Ryadh et Téhéran n’ont jamais été au beau fixe. Iraniens et Saoudiens n’ont pas cessé depuis plus de 40 ans de s’accuser mutuellement de soutien au terrorisme et de déstabilisation de la région. La montée en puissance du Hezbollah au Liban et la guerre au Yémen sont devenues ces dernières années la principale pomme de discorde entre les deux pays.
En 2016, l’Arabie saoudite optait carrément pour la rupture des relations diplomatiques. Et ce, après l’attaque par des manifestants iraniens de l’ambassade saoudienne à Téhéran, suite à l’exécution à Ryadh d’un opposant chiite.
Les Etats-Unis ne sont pas innocents dans l’exacerbation continue de la tension entre les deux principales puissances sunnite et chiite de la région. En effet, leur politique a consisté depuis 1979 à verser de l’huile sur le feu. Et ce, dans le but d’empêcher toute normalisation irano-saoudienne.
C’est la politique qu’ont suivie tous les présidents américains de Ronald Reagan jusqu’à Joseph Biden. La dernière manifestation de cette politique se manifeste dans la récente visite de celui-ci en Arabie saoudite. Il a tenté de convaincre les dirigeants saoudiens de normaliser leurs relations avec Israël et de s’allier avec lui pour contrer « le danger iranien ».
Biden a tenté aussi de dissuader les Saoudiens d’aller de l’avant dans leurs relations avec la Russie et la Chine. Mais sa visite semble avoir été un fiasco sur tous les plans.
Dans la réunion du Conseil de coopération du Golfe à Jedda à laquelle il a tenu à assister, il a trouvé en face de lui des dirigeants qui refusaient unanimement l’idée américano-israélienne d’une sorte d’« Otan arabe » dont ferait partie Israël et qui serait orientée contre l’Iran.
La Jordanie qui, au début a accueilli l’idée avec un certain enthousiasme, a rapidement rétropédalé. Les Emirats arabes unis ont choisi le jour de l’arrivée du président américain dans le Golfe pour envoyer leur ambassadeur rejoindre son poste à Téhéran. Et le Koweït a décidé d’emboiter le pas aux Emirats.
Mais le plus grand message en direction de Washington a été adressé par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman. A peine le président américain a-t-il terminé son discours sur « le danger iranien » et « la nécessité d’une alliance israélo-arabe » pour le contrer que Mohamed Ben Salman prenait le contre-pied. Il a, sans doute très intentionnellement, mis hors-jeu le président américain en parlant de « la main tendue de l’Arabie saoudite au voisin iranien ».
Des négociations secrètes irano-saoudiennes
Il faut rappeler à cet égard que, depuis plus d’un an, cinq rounds de négociations secrètes irano-saoudiennes au niveau des responsables de la sécurité et des renseignements s’étaient tenus à Bagdad. Mohamed Ben Salman a décidé il y a quelques jours non seulement de rendre ces négociations publiques; mais de les élever du niveau sécuritaire au niveau politique.
Ainsi, dans un entretien avec la chaine de télévision kurde Rudaw, le ministre irakien des Affaires étrangères Fouad Hussein a affirmé: « Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman nous a demandé d’accueillir à Bagdad une réunion des ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien (…). Nous sommes actuellement pris par les préparatifs pour trouver le bon moment pour inviter les ministres saoudien et iranien qui tiendront une réunion publique. »
Le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian a confirmé avoir été informé par son homologue irakien. Tout en émettant le souhait d’un rétablissement rapide des relations diplomatiques.
On peut imaginer la fureur de Joseph Biden quand il a appris que de tels développements avaient eu lieu juste après son départ de Jedda. Il était venu avec l’idée de nourrir la tension qui mine les deux pays depuis des décennies. Mais il n’a réussi finalement qu’à aiguiser la conscience dans la région du Golfe que les décideurs américains se soucient comme d’une guigne des intérêts des Arabes du Golfe à l’Atlantique. Ce qui les intéresse dans chaque kilomètre-carré de la planète, c’est l’intérêt du complexe militaro-industriel américain et, par ricochet, celui d’Israël.
C’est la détermination pathologique de Washington de mettre cet intérêt sordide au-dessus de toute autre considération qui met la planète à feu et à sang.
Les Slaves s’entretuent en Europe? Les usines du complexe militaro-industriel tournent à fond et la machine diplomatique washingtonienne se charge de faire échouer toute tentative de négociation entre les belligérants.
La tension baisse dans le Golfe et « le risque de paix » se profile? On invente l’idée saugrenue d’ « Otan arabe ». Et on présente l’usurpateur israélien comme « l’ami » des Arabes et leur « soutien » contre « le danger iranien ».
Mais rien n’y fait. L’Amérique vacille. Son influence et sa crédibilité s’amoindrissent, en particulier dans la partie sud de la planète. Celles de ses rivaux russe et chinois gagnent du terrain chaque jour un peu plus. Et cette idée est en train d’être assimilée de plus en plus par de nombreux dirigeants. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les récentes décisions du prince héritier saoudien qui mettent le président américain hors-jeu et… hors de lui.