En prononçant un discours le jour même du scrutin référendaire du 25 juillet, le président de la République Kaïs Saïed semble en délicatesse avec la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative au silence électoral. Est-ce compatible avec l’esprit de la nouvelle République qui ambitionne d’appliquer scrupuleusement la loi à tout le monde; y compris aux plus hautes instances de l’Etat?
Peut-on avancer avec certitude que le président de la République, Kaïs Saïed a enfreint ou, dans un langage plus diplomatique, pris ses aises avec la loi relative au silence électoral?
Que dit la loi électorale
Oui, si on réfère à la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014. Laquelle dispose dans son article 69 que « durant le silence électoral, toute forme de propagande est interdite ». Le silence électoral étant défini « comme la période englobant le jour du silence électoral et le jour du scrutin jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote de la circonscription électorale ».
D’autre part, l’article 155 prévoit que « toute violation aux dispositions de l’article 69 du code électoral est passible d’une amende allant de 3.000 dinars à 20.000 dinars ».
Le rappel de l’ISIE
Sachant que le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Farouk Bouasker, avait insisté, deux jours avant la date fatidique du 25 juillet, sur « l’obligation » de respecter le silence électoral. En effet, il affirmait à la TAP que « toute manœuvre de campagne électorale le jour du silence électoral est considérée comme une infraction pénale pouvant être transférée devant le parquet ».
Alors osera-t-il, lui qui a été nommé par le président de la République à ce poste, mordre la main de son illustre bienfaiteur? Ne rêvons pas trop. Car, malheureusement nous ne sommes pas citoyens d’un pays scandinave!
La HAICA monte au créneau
Notons par ailleurs que la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, HAICA, s’est fendue le jour même d’un communiqué. Et ce, pour épingler la Télévision publique, coupable à ses yeux d’avoir transgressé le silence électoral. Car elle a passé le jour même du scrutin référendaire une vidéo de 15 minutes du chef de l’Etat, Kaïs Saïed. Dans laquelle ce dernier détaillait certains aspects de son projet de Constitution.
La HAICA s’insurge également contre le fait que l’intervention présidentielle ait été accompagnée de commentaires très positifs. Et ce, de la part de plusieurs personnalités ouvertement pro-Saïed.
Ennahdha : « Le référendum est juste une formalité ».
Et sans surprise que le mouvement d’Ennahdha a condamné « fermement », lundi 25 juillet 2022, dans un communiqué signé par son président Rached Ghannouchi, « la violation du silence électoral par le chef de l’Etat et l’orientation des électeurs pour voter « oui » ».
« Le fait que le chef de l’Etat a délibérément orienté les électeurs à voter « oui » à son projet de constitution. En faisant les louages du projet, tout en s’attaquant à ses adversaires. Ce qui est une violation claire de la période de silence électoral », indique le Mouvement.
Ainsi, pour le parti islamiste « ce comportement illégal de la part de la plus haute instance du pouvoir est un nouvel indicateur démontrant que le référendum est juste une formalité ».
Kaïs Saïed : « Ils ne sont pas de ce peuple, pas de ce pays »
A cet égard, le chef de l’Etat glissait son bulletin de vote, le matin du scrutin du lundi 25 juillet 2022, au bureau de vote de l’école primaire Ennasr 1 à l’Ariana. Et le Président de la République profitait de cette occasion pour prononcer un discours sur Al Watania. Une allocution dans laquelle il a fait la promotion du projet de constitution, écrit de ses propres mains. Sans pour autant résister au plaisir de prendre ses détracteurs pour sparring-partner.
Jusqu’à laisser entendre que les derniers incendies de forêts et de champs qui ont éclaté ces derniers jours, dans plusieurs régions du pays, auraient été déclenchés avec préméditation. Et ce, « par certaines parties », dans le dessein malsain « de saboter le référendum et d’empêcher ainsi les honnêtes citoyens de se rendre aux urnes ». Reste à prouver la corrélation des faits. Ce que le Président n’a pas fait dans son allocution télévisée.
« Le peuple est appelé aujourd’hui à se prononcer et à voter pour le projet de Constitution par « oui » ou « non ». Rappelez-vous, qu’il y a un an, jour pour jour, le peuple avait manifesté sa liesse suite au gel de l’ARP. Nous avons amorcé ce jour une nouvelle étape historique. Nous allons construire ensemble une nouvelle République sur le socle de la vraie liberté, de la vraie justice et de la dignité nationale ». Ainsi, s’exprimait Kaïs Saïed.
Et de préciser son programme post-référendaire: « Nous voulons vivre dans un pays libre et souverain, dans lequel le citoyen est libre. Or, la liberté n’est pas que des articles de lois; mais elle s’exerce dans la vie quotidienne. Demain, chaque élu sera responsable devant ses électeurs et non pas devant le parti qui l’a proposé comme candidat aux élections. Malheureusement, durant la décennie noire, nous avons vécu une farce de démocratie. Où les articles des lois s’achetaient et se vendaient. Où les textes étaient publiés au JORT sans jamais être appliqués. Et où le sang coulait dans l’ARP ». C’est aussi ce que déplorait le Président.
« Nous sommes devant un choix historique, a-t-il encore martelé. Le peuple ne doit pas rater ce rendez-vous avec l’Histoire. Mais couper l’herbe sous les pieds de ceux qui mettent le feu aux forêts et payent les citoyens pour les empêcher d’aller voter ». Et de conclure sur un ton grave: « Ils ne sont pas de ce peuple, pas de ce pays qu’ils ont trahi et vendu aux parties étrangères ».
Disons pour conclure que si le camp du « Oui » semble l’emporter, tous les indicateurs vont dans ce sens; ce sont les chiffres de la participation au référendum qui seront à scruter à la loupe. Car, est-il utile de rappeler que le référendum du 25 juillet est en réalité un plébiscite pour ou contre le président Kaïs Saïed ? Tout le reste est illusoire.