Comment les résultats du vote au référendum du 25 juillet 2022 sur le projet de Constitution ont-ils été accueillis par notre classe politique? Un succès « indéniable » pour le président de la République, Kaïs Saïed, pour les uns. Mais selon les opposants au scrutin référendaire, ce n’est qu’une victoire « en demi-teinte ». Et ce, eu égard au faible taux de participation « qui entache la légitimité du processus dans son ensemble ».
En effet, selon des résultats officiels préliminaires du référendum annoncés dans la nuit du mardi 26 juillet par le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker, la nouvelle loi fondamentale a été adoptée à une majorité écrasante de 94,6 %. Alors que paradoxalement, le taux de participation remonte à 2.756 millions d’électeurs; soit 30,5 % des inscrits.
Ainsi, le locataire du palais de Carthage a fait très légèrement mieux que les 2,7 millions de voix qui lui ont permis d’accéder à la présidence en 2019. Mais, faute de seuil de participation imposé par la loi électorale, le projet voulu et conçu par le Président sera appliqué. Et ce, tel quel et sans qu’une virgule ne soit changée; dès la publication des résultats définitifs, le 28 août 2022.
Aussitôt les résultats du sondage à la sortie des urnes annoncés, les soutiens du président de la République se sont empressés de crier victoire.
Mongi Rahoui : chantons sous la pluie
Ainsi, la figure très respectée de la gauche tunisienne, Mongi Rahoui, a appelé à célébrer cette victoire. De même qu’il a exhorté les citoyens à la célébrer en dansant et en chantant dans les rues.
Avec son style tortueux et son esprit alambiqué, Ridha Chiheb Mekki dit Lénine- lequel, parait-il, murmure à l’oreille du Président- s’est fendu pour sa part d’une leçon magistrale digne d’être prononcée au Collège de France. Ainsi, il déclare: « La politique ne se pratique pas au niveau des ambassades et dans les bureaux; mais se réalise parmi les gens. Vous avez encore une grande opportunité, écoutez votre peuple… Fédérez les gens… Nous ne voulons pas de division, nous aspirons plutôt à la cohésion ».
Néji Jalloul : un vote pour Saied et non en faveur de la Constitution
Moins expansif, Néji Jalloul, président du parti de la Coalition nationale, considère avec une certaine logique que les 92,7% de « Oui » ne reflètent pas une vraie conviction du projet de constitution proposé par le président Kaïs Saïed. En effet, il estime que les citoyens « ont surtout voté en faveur de Kaïs Saïed et non pour le projet de constitution ». De plus, il souligne que ce vote avait aussi pour but « de contrer le mouvement Ennahda, l’un des principaux opposants du chef de l’Etat ».
« Le gouffre s’est creusé entre les Tunisiens après le référendum. Et le peuple est de plus en plus divisé ». C’est aussi l’avertissement que lance l’universitaire.
Pour sa part, le bâtonnier Brahim Bouderbala, dont le soutien à Kaïs Saïed est inconditionnel, argue que si le locataire de Carthage venait à se présenter à une élection présidentielle dans les circonstances actuelles, « les résultats seraient stupéfiants ». Assurant que « Si des élections étaient organisées dans les trois mois à venir, il serait probable que le Président récolte autant de voix que celles de l’actuel référendum ».
Chebbi : le Président doit partir
Changement total de ton du côté des opposants de Kaïs Saïed. Ainsi, dans un point de presse tenu hier mardi, le Front du salut national a appelé le président de la République à « quitter le poste ». Ainsi qu’à organiser dans la foulée « des élections législatives et présidentielles anticipées ».
Montant au créneau, l’inévitable Ahmed Nejib Chebbi a estimé que les chiffres relatifs au référendum montrent que « 75% des électeurs ont refusé de voter ». Et donc « de donner leur aval au processus du président et de conférer ainsi une « fausse légitimité à une constitution autoritaire ».
Le Président « n’a aucun motif pour rester encore au pouvoir après l’échec de son coup d’état. La seule source de légitimité constitutionnelle dans le pays demeure la constitution de 2014. Et ce, dès lors qu’elle est élaborée par les représentants des électeurs tunisiens, dont le nombre dépassait les 4 millions d’électeurs ». Ainsi martelait l’inévitable Nejib Chebbi, nouvel allié d’Ennahdha de Rached Ghannouchi.
Pour sa part, ce dernier appelle à un dialogue national, « excluant le président Saïed ». Et ce, en vue de former « un gouvernement de sauvetage qui sera notamment chargé de préparer des élections présidentielles et législatives anticipées ».
Jaouhar Ben Mbarek : Falsification et manipulation
Dans une intervention similaire, la même soirée, sur Al-Jazeera, le porte-voix du parti islamiste Ennahdha, Jaouhar Ben Mbarek, le dirigeant du collectif « Citoyens contre le coup d’Etat » a affirmé que les résultats avancés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) « ne reflétaient pas la réalité ». Allant même jusqu’à évoquer une « falsification et une manipulation des chiffres ». Tout en mettant en doute « l’impartialité et l’intégrité de l’instance électorale ».
« Après cette comédie de référendum que Kaïs Saïed a organisée de manière unilatérale et avec l’aide d’une instance électorale qu’il a désignée lui-même par décret, il n’a pas atteint le seuil du tiers des voix qu’il avait obtenu au second tour de la présidentielle. Et il a recueilli le nombre de voix qu’il avait réalisé au premier tour, reprenant ainsi sa vraie dimension; à savoir 19%». Ainsi a encore argué le plus virulent opposant du Président.
Et de conclure: « Au sein du Front du salut national, nous enregistrons avec satisfaction le fait qu’une écrasante majorité du corps électoral n’a accordé aucun intérêt au référendum » sur la nouvelle Constitution proposée par le président de la République Kaïs Saïed.
Abir Moussi : crime contre l’humanité
Enfin, notons que la présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi, n’a pas dérogé à la règle. Effectivement, elle a publié une vidéo sur sa page officielle. Elle y qualifie le référendum de « processus de fraude et de tromperie ». Sans omettre de féliciter les Tunisiens « qui n’ont pas participé à ce crime contre l’humanité ». Pas moins que cela.