Dieu, protège-nous de nos amis, nos ennemis, on s’en charge ! Telle est certainement la prière de Kaïs Saïed, ainsi que d’une bonne partie de ce qui est convenu d’appeler la société civile, adressée probablement au Dieu des musulmans, face aux déclarations du secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, ainsi que du futur ambassadeur US, à propos des résultats du référendum sur la Constitution. L’ami américain s’est octroyé en effet le droit d’ingérence dans nos affaires intérieures, les affaires extérieures étant certainement sous contrôle.
Le tollé général provoqué par cette ingérence directe et non enrobée dans la langue de bois diplomatique traditionnelle a certainement surpris les experts, chargés des affaires tunisiennes au département d’Etat, puisque beaucoup d’organisations et d’associations bénéficiant du soutien, de la protection et pour certaines du financement de la première puissance mondiale, ont été parmi les plus virulentes contre ces déclarations. C’est la preuve aussi que l’ingérence américaine a atteint des limites extrêmes et a provoqué le nationaliste qui dort dans chaque âme tunisienne, tant le ton arrogant et peu diplomatique et de la déclaration du ministre US et de son futur ambassadeur, ainsi que le contenu, ont choqué et même humilié tous les Tunisiens patriotes qui espèrent encore sauver le peu de dignité nationale qui nous reste après douze ans de « printemps tunisien », synonyme d’abandon national et de perte presque totale de notre souveraineté.
Pourquoi cette ingérence flagrante ? « La normalisation » avec Israël est l’objectif primordial !
C’est par la bouche du futur ambassadeur US devant le Sénat qu’on apprend que parmi les objectifs de sa mission en Tunisie c’est d’aboutir à la mise en application des accords de la fameuse « paix d’Abraham » et d’amener la Tunisie, à travers les pressions américaines et notamment par le chantage à travers les grands bailleurs de fonds, à établir des relations diplomatiques avec l’Etat hébreux. L’on comprend alors pourquoi cet acharnement sur la petite Tunisie qui, après avoir été poussée insidieusement à travers un processus qui a commencé le 14 janvier 2011 à perdre un à un tous les atouts de sa souveraineté, est invitée maintenant à se soumettre à l’injonction américaine d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Au moment même où les Américains sont en perte de vitesse partout et notamment depuis la guerre d’Ukraine et surtout auprès de leurs amis et alliés arabes, ils pensent que la Tunisie, qui est à genoux, peut être facilement amenée à appliquer ces fameux accords moyennant une levée du véto américain quant aux financements qu’elle demande au FMI. Ce mépris manifeste de la capacité tunisienne à refuser une injonction américaine est dû à la dépendance totale à laquelle notre pays a été entraîné après la destruction systématique de l’Etat national et des attributs de la souveraineté, comme les dénommait le grand leader Habib Bourguiba (asbab al mannaa), grâce notamment à la domination de l’islam politique, le développement du terrorisme, la constitution de Noe Feldman et l’action ininterrompue des centaines d’ONG financées et encadrées par Freedom House ou Open Society. Le proverbe tunisien « On vous vend la peau du singe et on se moque de son acheteur » s’applique bien au cas de la Tunisie postrévolutionnaire. Malgré l’augmentation sensible du budget militaire ainsi que des forces de sécurité, notre défense dépend de plus en plus du soutien financier, logistique et technologique que nous garantissent des pays amis, notamment les USA. Ce qui pousse des sénateurs américains à demander chaque année la suppression d’une partie de l’aide en représailles à des « manquements » du gouvernement tunisien aux engagements quant aux principes de la démocratie et des droits de l’homme. En réalité, beaucoup de ces hommes politiques sont sous influence d’un lobby anti-tunisien très puissant, financé notamment par la confrérie internationale des Frères musulmans.
Sauf qu’un autre élément dans la politique étrangère des USA vient de s’ajouter au traditionnel soutien à la démocratie et aux droits de l’homme, depuis Trump, mais qui est reconduit par le démocrate Biden, la « normalisation » avec Israël, devenue une condition incontournable pour bénéficier du soutien politique et militaire américain, pour tout pays arabe. Le Maroc, par exemple, a négocié cela au mieux de ses intérêts nationaux et notamment la reconnaissance de la marocanité du Sahara dit occidental par les USA et récemment par l’Espagne qui était le grand soutien du Polisario avec Alger, comme jadis l’Egypte de Sadate avait négocié les accords de Camp David pour récupérer le Sinaï occupé par Israël, depuis la guerre de 1967. Récemment, des pays du Golfe ont normalisé avec l’Etat hébreux au mieux de leurs intérêts nationaux, sauf que la Tunisie ne dispose d’aucune stratégie pour négocier cette incontournable « normalisation » avec ce que les médias tunisiens s’ingénient à appeler « l’entité sioniste », terme qui n’existe nulle part dans le lexique diplomatique et politique mondial. S’ajoutent à cela les déclarations du chef de l’Etat lui-même depuis son élection, qui parle de droits éternels des Palestiniens sur « tous les territoires » qui vont dans le sens de la négation de l’existence même de l’Etat d’Israël, et qu’il considère que la Tunisie est en état de guerre permanente avec cet Etat, que les Palestiniens non seulement reconnaissent mais traitent quotidiennement avec, matin et soir et même le dimanche, comme dirait le poète Ouled Ahmed.
Comment être souverain quand notre sécurité dépend des autres ?
Certes, le président de la République a eu raison de rappeler les principes d’égalité et de souveraineté qui régissent les rapports entre Etats dans le droit international et dans les conventions, mais cela reste uniquement des principes. Le droit appartient à celui qui le prend par la force. L’exemple de l’Ukraine comme celui de la Syrie, tout récents, en sont l’illustration éclatante. On ne peut pas se prétendre souverain quand nous dépendons pour la sécurité de nos frontières de pays frères ou amis. On ne peut pas clamer haut et fort notre indépendance, quand nous dépendons pour notre sécurité sanitaire des aides substantielles d’autres Etats, comme pendant la vague mortelle du Covid-19. On ne peut pas s’égosiller d’indépendance quand notre gouvernement passe son temps à mendier de l’argent pour payer les salaires de ses fonctionnaires. Alors, trêve de plaisanteries grotesques et de déclarations donquichottesques. Nous devons raison garder et revenir à une diplomatie plus réaliste qui ne prétend pas avoir le beurre et l’argent du beurre !
Les conditions d’un recouvrement graduel de notre souveraineté malmenée et presque réduite à zéro par les effets dévastateurs du « printemps tunisien » passent par la refondation d’un front intérieur solide qui s’attelle à remettre le pays au travail et à développer notre économie rapidement pour revenir au moins à des niveaux de croissance et de développement qu’on avait pu atteindre auparavant. La balle est plus que jamais dans le camp du chef de l’Etat lui-même qui dispose désormais de tous les pouvoirs et de tous les leviers. Même la fracture politique et sociale due au dernier référendum doit être réparée et les élections législatives de décembre prochain peuvent être l’occasion d’un vrai débat national sur le nécessaire redressement qui ne peut être reporté ou différé.
Notre diplomatie doit être au service de ce projet et non au service de projets personnels ou politiques. Elle doit être plus agressive et ne doit pas se contenter de réparer les dégâts causés par tant d’amateurisme politique et même diplomatique. Comme accorder un entretien à un journaliste moyen-oriental qui a mangé à tous les râteliers, pendant presque une heure et demie pour lui faire « des confidences » qui n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu. Alors qu’elle est passée inaperçue, l’intrusion de la question de Jérusalem dans notre Constitution est non seulement une aberration constitutionnelle, mais une agression contre la souveraineté palestinienne et le droit international et qui ne manquera pas d’avoir des répercussions graves sur notre politique étrangère. Tant d’amateurisme devient dangereux non seulement pour le pays mais surtout pour ses auteurs. Cela, au moment où l’on veut entraîner le pays de force dans ladite « paix d’Abraham », ce qui ne peut encore que susciter la méfiance de nos voisins, qui se considèrent être la cible d’une déstabilisation orchestrée par Israël et les USA. Il est clair que le chef de l’Etat est mal conseillé, du moins en matière de politique extérieure. D’ailleurs, la priorité est de reconstruire le front intérieur mis à mal par une décennie destructrice, en commençant par reprendre le dialogue avec les forces nationales, dont principalement l’UGTT.
De son côté, la centrale semble avoir tiré les conclusions de son attitude un peu aventuriste et peu syndicale avant le référendum. Elle n’est pas la seule, puisque le PDL, sans le dire, a changé d’attitude en appelant à construire un front qui exclut certes les islamistes et il a raison, tant que ceux-ci continuent à être dirigés par un octogénaire devenu sénile politiquement. Les prochaines élections peuvent constituer une occasion en or pour reconstruire le front intérieur. Mais faut-il encore qu’il y ait une volonté politique pour le faire.
La rentrée politique offre une chance encore à ceux qui veulent mettre les intérêts du pays au-dessus de leurs intérêts partisans.