Dans quelle case faut-il cocher le président de la République, Kaïs Saïed? Un piètre populiste qui finira en prison, comme le prédit imprudemment Hamma Hammami dans son langage fleuri? Un Président laxiste qui n’a rien fait pour combattre la corruption et les corrompus, selon Samia Abbou? Ou plutôt un homme politique ayant réussi là où Bourguiba et Ben Ali ont échoué, estime Mustapha Ben Ahmed, un brin admiratif? Trois avis, aux antipodes les uns des autres, émis le même jour.
Ainsi, lors de son intervention hier mercredi 24 août sur Shems FM, le SG du Parti des travailleurs, Hamma Hammami, avançait que le chef de l’Etat, après avoir promulgué une nouvelle constitution « concoctée de ses propres mains » et adoptée par le tiers des participants au référendum du 25 juillet 2022, œuvre actuellement à l’élaboration d’un nouveau Code électoral en prévision des législatives anticipées prévues en décembre. Et ce, « afin d’assurer la pérennité de son pouvoir. Car il est le premier à être conscient des conséquences du putsch qu’il a opéré ».
« La prison ou la cavale »
« Il sait qu’il finirait en prison ou en cavale s’il lâchait le pouvoir. Car il a opéré un putsch avec l’aide des institutions militaire et sécuritaire ». Ainsi pronostiquait-il imprudemment. Rappelant que le président de la République « avait déformé l’article 80 dans son application le 25 juillet 2021 ». En référence au gel des prérogatives du Parlement et à la destitution du gouvernement Mechichi.
Alors, revenant sur « les dérives » de Kaïs Saïed depuis le coup de force du 25-Juillet, Hamma Hammami, le militant- dont personne ne conteste l’héroïque combat politique, ayant connu les geôles de Bourguiba et de Ben Ali; mais qui n’a pas bougé, hélas, d’un iota de sa ligne stalinienne pure et dure d’un autre temps- affirme sans rire que ce que le président de la République a entrepris « est passible de prison ». Car, « il a dissout l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCPL) et l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Et ce, sans parler de la révocation, sans motif et sans décision de justice, de nombreux magistrats ».
« Laxisme »
Pour sa part, l’ex-députée du parti Attayar, Samia Abbou, laquelle n’a pas la réputation d’avoir la langue dans sa poche, déplore l’absence de poursuites judiciaires envers « les corrompus » qui étaient membres de l’ARP et qui étaient pointés du doigt par le chef de l’Etat, lors de ses différents discours. Critiquant au passage « le laxisme du Président face aux anciens chefs de gouvernement, Hichem Mechichi et Youssef Chahed. Sachant que ces derniers ont pu voyager à l’étranger, contrairement aux députés qui avaient été interdits de voyager ».
En effet, invitée le 24 août 2022 sur les ondes de Jawhara Fm, Samia Abbou accuse le locataire du palais de Carthage de profiter de l’existence des corrompus notoires « afin de garantir une hausse continue de sa côte de popularité ».
Alors, Kaïs Saïed – Ennahdha, Bonnet blanc et blanc bonnet? Osant une comparaison du règne de Kaïs Saïed à celui de la décennie noire d’Ennahdha, l’ex-députée du parti Attayar a estimé que le Président « avait consacré, à travers l’article 5 de la nouvelle Constitution, le projet de l’islam politique tant espéré par le mouvement islamiste d’Ennahdha.
« L’insoluble énigme Kaïs Saïed »
Mais, c’est l’article de Mustapha Ben Ahmed sur les colonnes de notre confrère Businessnews qui mérite l’attention. Et ce, tant pour sa perspicacité que par sa hauteur de vue.
Ainsi, dans une tribune intitulée « L’insoluble énigme Kaïs Saïed » – ce vieux briscard de la politique, ancien syndicaliste autodidacte, détenu en 1987 dans les caves du ministère de l’Intérieur sous le règne de Ben Ali; membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes en 2012, passé par Machrou Tounes, avant de présider la Coalition nationale, le deuxième groupe parlementaire à l’Assemblée, derrière les islamistes d’Ennahdha et devant Nidaa Tounes- déplore que « soixante-dix ans après l’indépendance, le pays se retrouve dirigé par un seul homme… Un homme qui s’est accaparé tous les pouvoirs après avoir neutralisé tous les partis politiques ainsi que les forces sociales ».
Pourtant, reconnait-il, « cet homme qui n’a fait dans l’histoire que des apparitions télévisées sur des questions de droit constitutionnel après la révolution, donne actuellement l’impression de réussir là où Bourguiba et Ben Ali ont échoué, discréditer le mouvement islamiste aux yeux de l’opinion publique et le frapper de disgrâce du pouvoir ».
Et de s’interroger, admiratif: « D’où détient-il cette étrange force qui lui a permis de venir à bout de tous ses adversaires et dominer aisément toute la scène politique, sans rencontrer une véritable opposition ? »
Et la réponse fuse limpide comme l’eau de roche: « Certes, il a profité de la lassitude d’une large frange de la population du comportement d’une catégorie de politiciens qui n’ont pas cessé tout au long de leur mandat de concéder une mauvaise image d’eux-mêmes et de leur entourage ».
« Mais cela ne peut nous révéler tout le secret de sa force. Car malgré les maigres résultats de ses promesses et les critiques qui s’étendent de plus en plus à l’intérieur qu’à l’extérieur, il reste le numéro un dans les sondages d’opinion et devance ses adversaires avec un écart considérable ».
Ainsi, écrit l’auteur, « depuis le déclenchement de son processus du 25 juillet, il n’a jamais émis un signe d’hésitation ou de fléchissement. A chaque pas qu’il franchit vers son objectif final, il démontre la même détermination de ne pas céder sur aucune question ni pour amis ni pour ennemis. Lui et lui seul qui pense, qui décide et qui exécute. Il n’accepte aucun partage, il marche toujours de l’avant. Il ne connaît ni ralenti, ni marche arrière ».
Encore une fois, l’énigme Kaïs Saïed