No future, pas de salut à l’horizon, malaise social provoqué par l’instabilité politique doublée d’une profonde crise socio-économique, chômage massif chez les jeunes. Et la liste est longue… La vie est-elle devenue si intenable en Tunisie que des enfants mineurs, des femmes avec enfants en bas âge et des familles entières bravent quotidiennement la mort, sur des embarcations de fortune? Et ce, pour accéder à la rive nord de la Méditerranée. Cet Eldorado des temps modernes qui s’avère au bout du compte une amère désillusion?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et ils sont glaçants : plus de 2 000 mineurs tunisiens ont effectué cette année la périlleuse traversée de la Méditerranée entre la Tunisie et la péninsule… Ils font partie de ces 10 139 migrants tunisiens, dont 498 femmes, frappés par la profonde crise socio-économique et qui ont gagné l’Italie depuis le début de l’année 2022 à la recherche d’une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs enfants.
Pis encore. Des familles tunisiennes entières, dont des femmes et des enfants en bas âge tentent depuis peu la traversée. Un phénomène qui était surtout observé chez les citoyens de pays subsahariens. « Les interrogatoires permettent aussi d’affirmer que parmi les candidats à l’exil, figurent beaucoup de diplômés du supérieur et d’employés ». C’est ce que déplore le porte-parole de la Garde nationale, le colonel-major, Houssemeddine Jebabli. Il s’exprimait lors d’une conférence de presse tenue hier, jeudi 25 août 2022, à la caserne de l’Aouina.
Chagrin et stupeur
Mais, c’est le cas insoutenable d’une enseignante tunisienne au chômage et de son fils de quatre ans qui se sont récemment noyés au large des côtes de Monastir qui a provoqué chez nos compatriotes de la stupeur, du chagrin et une tristesse infinie. Une tragédie qui frappe chacun de nous au plus profond de son être.
Tragédie d’une mère
Car comment comprendre qu’une jeune mère, Chahida Yaacoubi– enseignante au chômage, originaire des environs de Oueslatia dans le gouvernement de Kairouan, noyée le 14 août lors d’une tentative de migration clandestine– ait eu le cœur de faire courir à son enfant de 4 ans le risque d’une périlleuse traversée entre l’Italie et les côtes de Monastir, en mettant sa vie en danger?
Selon le témoignage de la tante paternelle de Chahida, mercredi 24 août 2022 sur les ondes de Jawhara FM, la victime était une diplômée universitaire au chômage. Sans être divorcée, elle était séparée de son mari qui est actuellement installé en Grèce et vivait avec son petit enfant dans des conditions très précaires dans une maison de location située dans la ville de Menzel Nour relevant du gouvernorat de Mahdia.
Toujours selon ce témoignage, la victime assurait des cours particuliers au profit des élèves avant de fonder sa propre garderie scolaire dans la région. Mais, son projet ayant capoté, elle ne cessait d’assurer à son entourage son intention de quitter le pays illégalement via les frontières maritimes pour améliorer sa situation financière. Elle a fini par quitter son domicile deux jours avant le départ de l’embarcation. Plusieurs autres personnes étaient à bord de la même embarcation, dont son amie d’enfance.
Le spectre de Bouazizi
Non. Ce drame ne doit pas passer pour un vulgaire fait divers. Où on essuie une larme de condescendance avant de passer à autre chose. Mais il doit tous nous interpeller.
Car, qu’est ce qui incite nos compatriotes, tout âge et situation sociale confondus, à braver une mer houleuse pour atteindre les côtes d’Europe? Et s’ils n’avaient ni les moyens, ni le courage de faire la traversée de la mort, pourquoi plus des deux tiers de nos jeunes envisageraient de migrer en Europe ? Et ce, à tout prix et dans n’importe quelles conditions?
Et comment cerner aujourd’hui le profil des candidats à l’émigration clandestine. Alors même que certains ne sont pas forcement dans le besoin. A l’instar de ces jeunes sportifs pas vraiment dans la dèche ou cet adjoint au maire de la ville de Skhira?
Enfin, la souffrance des Tunisiens ne rappelle-t-il pas étrangement l’affaire Bouazizi. Celui-ci, par un geste de désespoir, avait déclenché la révolution de 2011?
Ainsi, et tandis que ces drames sont devenus notre lot quotidien, que les passeurs s’engraissent sur le dos de ces malheureux, que les réseaux d’émigration clandestine prospèrent et s’internationalisent; pour nos politicards murés dans un silence étourdissant, ce drame national ne figure pas dans la priorité de leurs priorités. Alors que nos compatriotes se serrent la ceinture jusqu’à n’y plus trouver des trous. Désormais, nos dirigeants sont avertis.