Loin de s’apaiser avec le temps, la crise diplomatique entre Tunis et Rabat ne semble pas être l’expression d’une saute d’humeur passagère du côté marocain. Mais plutôt le signe d’un malaise profond pouvant aboutir à une fâcheuse rupture entre les deux pays frères. Avec à l’arrière-plan, l’épineux dossier du Sahara occidental devenu une cause nationale, le « revirement » de Madrid. Ainsi que les soupçons marocains quant à l’éventuel alignement de la Tunisie et de Kaïs Saïed sur les positions algériennes.
Avertissement ou menace?
C’est dans le cadre géopolitique qu’il faudrait placer le discours du 20 août en cours, prononcé par le roi Mohammed VI. En effet, celui-ci annonça fermement en forme d’avertissement: « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde. Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats. »
Bref, le souverain alaouite, déterminé plus que jamais à imposer son plan d’autonomie au Sahara occidental, « somme » les pays étrangers à choisir leur camp. Pour ou contre la marocanité de cette ancienne colonie espagnole.
Réaction disproportionnée
Première réaction marocaine d’une virulence extrême: en recevant en grande pompe le président de la République arabe démocratique sahraouie et du Front Polisario, Brahim Ghali- lequel est venu participer à Tunis à la 8e édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), qui s’est tenu à Tunis les 27 et 28 août- la Tunisie provoqua le courroux du Maroc. Lequel décida sur le coup d’annuler sa participation à la conférence afro-nippone et d’appeler son ambassadeur « pour consultations ». Mesure dont la réciprocité a été appliquée dès le lendemain par Tunis. Œil pour œil, dent pour dent!
Pour qui roule Kaïs Saïed?
Pour quel motif? La vérité, c’est le traitement de président de la République réservé à Brahim Ghali plus que son invitation qui a froissé les Marocains. Car, Kaïs Saïed ne s’est pas contenté de recevoir personnellement le dirigeant sahraoui, comme il le fait d’ailleurs avec le reste des délégations invitées; mais il l’a reçu comme un chef d’État.
Or que se cache-t-il derrière le geste protocolaire du locataire du palais de Carthage? Voulait-il privilégier le principe universel du droit des peuples à l’autodétermination? S’est-il, in fine, aligné sur la position de l’Algérie voisine au détriment de la prudente diplomatie tunisienne axée traditionnellement sur la neutralité; voire l’équilibrisme entre les deux géants du Maghreb?
Le revers espagnol
D’autre part, la crise politique avec la Tunisie n’est pas étrangère au revers que vient de subir la diplomatie marocaine.
En effet, dans une interview à la télévision espagnole Le 7 août 2022, l’Espagnol Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l’Union européenne, a affirmé que « la position constante de l’Union sur la question du Sahara occidental est de chercher à reprendre les négociations afin que le peuple sahraoui puisse décider de son propre sort ».
« La position du gouvernement espagnol était et reste celle de l’UE. C’est-à-dire défendre la tenue d’une consultation pour que le peuple sahraoui puisse décider de la manière dont il souhaite son avenir ». Ainsi déclarait-il, lors d’une interview accordée le 7 août 2022 à la télévision espagnole.
Le lendemain, M. Borrell nuançait ses propos. En soulignant que la solution à ce conflit « passe par une solution convenue entre les parties dans le cadre des résolutions des Nations Unies ».
Sourde colère et vif désarroi à Rabat. Le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita annula la réunion avec J. Borrell sans donner les raisons de cette décision. Tout en précisant simplement que la réunion est « inappropriée » et en qualifiant les déclarations du chef de la politique étrangère de l’UE, qui appelait à un référendum pour donner la possibilité au peuple sahraoui de décider de son avenir, « de lapsus ».
Le hic, c’est que les déclarations de Josep Borrell, lui-même de nationalité espagnole, sont en totale contradiction avec le soutien du gouvernement espagnol à la proposition d’autonomie marocaine considérée comme la « plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit.
A la lumière de ces rebondissements géostratégiques, les observateurs avertis sont tentés de conclure que la réaction- certes outrancière et démesurée de Rabat à la « provocation » tunisienne- cache une certaine appréhension de se retrouver isolé au Maghreb et à l’international.