Les discours et les actes du Président de la République, Kaïs Saïed, prouvent qu’il veut rompre avec les constantes de la politique étrangère, établies par Habib Bourguiba et consolidées par Ben Ali, mais mis à mal à l’époque de Moncef Marzouki. Quant à B.C.E, il n’avait fait que tenter de redresser la situation, sans pour autant reconsolider ces constantes de notre politique étrangère.
Pour KS, cela avait commencé lors de son discours d’investiture où il s’était délibérément écarté de la position tunisienne sur la question palestinienne, qui a toujours respecté, les décisions de l’ONU et la légalité internationale. Emporté par un élan « révolutionnaire », notre Président s’était donné le droit d’interférer dans la décision souveraine du peuple palestinien lui-même et de ses représentants légitimes, l’OLP et le gouvernement de Mahmoud Abbas.
Notre Président, à ce que l’on sache, n’a pas été élu par les Palestiniens. Et même les Tunisiens qui l’on fait ne l’on jamais mandaté pour prendre une telle position extrême. Il avait fait de l’interventionnisme, sans le savoir, comme Monsieur Jourdain, pour la prose.
Mettant cela sur le compte de son lyrisme littéraire qu’il fait tout pour mettre en valeur, les observateurs ont considéré ces propos avec beaucoup d’amusement sans vraiment y attacher beaucoup d’importance. Surtout que le MAE avait vite fait de rétropédaler et revenir à des positions plus conventionnelles.
Du passé, faire table rase
KS n’a jamais caché son intention « d’effacer » de l’histoire ou plutôt de sa vision de l’histoire, toute la période post coloniale de l’Etat tunisien. On doute même qu’il considère que l’Indépendance du pays a eu lieu en 1956. Surtout qu’il s’acharne à gommer de la mémoire nationale le 20 mars; ainsi que le rôle historique du grand zaïm Habib Bourguiba.
Pire encore, dans le préambule de la nouvelle constitution, il est dit presque explicitement, que la vraie indépendance du pays a commencé le jour de sa propre investiture qui constitue aussi, selon lui « un tournant dans l’histoire de l’humanité » selon ses propres paroles. Alors comment s’étonner après cela qu’il tente de bouleverser de fond en comble la politique étrangère de l’Etat tunisien?
L’affaire du Sahraoui, reçu comme un chef d’un Etat souverain et ami, alors que la Tunisie ne l’a jamais reconnu diplomatiquement et politiquement et avec qui nous n’entretenons aucun rapport, ni historique, ni culturel, ni économique indépendamment de la justesse au nom de la cause que ce sieur prétend défendre, prouve que KS a de la suite dans les idées, et que sa doctrine est toute simple. A savoir, faire le contraire de ce qu’avait fait Bourguiba, quitte à engager tout le pays dans des conflits dont il n’a nullement besoin.
« KS n’a jamais caché son intention « d’effacer » de l’histoire ou plutôt de sa vision de l’histoire, toute la période post coloniale de l’Etat tunisien »
Comme celui qui oppose l’Egypte, à l’Ethiopie pour un barrage. Alors que rien ne nous pousse à faire de ce pays émergent et qui accueille l’Union Africaine un ennemi. Il l’est devenu depuis. L’Egypte n’en demandait pas tant. Rappelons que Bourguiba était l’ami de l’Empereur Hailé Sélassié , qui avait battu les italiens occupant le pays qui est carrément, et non symboliquement, le Dieu de la religion Rasta.
Cette volonté de faire du passé table rase, se manifeste spectaculairement dans son projet d’avenir pour le pays, qu’il prétend exprimer au nom de la volonté du peuple. Il ne ressemble en rien à tous les projets qu’avait connus le pays durant trois mille ans d’histoire. La conclusion est évidente: la seule politique étrangère que KS entend mener est celle qui correspond à ses objectifs personnels. Comme établir un système d’une autocratie qui ne ressemble à aucune autre. On a beau essayer de la définir en la comparant à d’autres modèles comme celui de Khaddafi, en réalité, elle s’avère unique en son genre.
« Cette volonté de faire du passé du pays table rase, se manifeste spectaculairement dans son projet d’avenir pour le pays, qu’il prétend exprimer la volonté du peuple »
La crise avec le Maroc est juste une des simples conséquences de cette politique. Il est clair que la réaction excessive du royaume chérifien à la présence du chef sahraoui, qui disons le en passant, côtoie périodiquement les diplomates marocains, et le Roi lui-même, est due au rapprochement de plus en plus grand entre Tunis et Alger, et qui est devenu spectaculaire depuis la visite de KS à Alger après une courte période de froid due aux déclarations malheureuses du chef de l’Etat algérien à Rome à propos du « cas » tunisien où il assuré sans rire aider la Tunisie à revenir au processus démocratique. Déclaration qui aurait dû provoquer la colère de notre MAE à travers un communiqué au vitriol comme seul l’actuel ministre sait le faire, à l’instar de celui commis, pour riposter aux marocains. Mais il avait préféré garder le silence, certes pour ne pas nuire aux relations « de bon voisinage ».
Cette virulence s’est aussi manifestée lors de la convocation de la chargée d’affaires US après encore une malheureuse déclaration du Secrétaire d’Etat US, à propos du référendum du 25 Juillet. Cette colère du MAE traduit en fait celle du maître de Carthage. Mais elle se caractérise par une géométrie variable, selon les cas.
Le cas marocain n’est pas le cas algérien et s’en est définitivement fini de la légendaire neutralité de la Tunisie dans l’affaire du Sahara dit occidental. La neutralité, il est vrai, ne paye pas les factures du gaz et de l’électricité et n’envoie pas des millions de touristes chaque année sans parler des raisons sécuritaires. Il faut reconnaître que ces arguments sont plus convaincants que des discours sur les principes de neutralité positive.
« Le cas marocain n’est pas le cas algérien et s’en est définitivement fini de la légendaire neutralité de la Tunisie dans l’affaire du Sahara dit occidental »
Du real politique? Evidemment pas, mais parce que aussi le Président algérien avait soutenu publiquement les « réformes en Tunisie ». Et même qu’il applaudirait à coup sûr les résultats des prochaines élections législatives de décembre prochain.
On ne peut pas ne pas écouter les conseils d’un pareil ami et particulièrement lorsqu’il s’agit d’une affaire qui lui tient à cœur comme celle du peuple « sahraoui » On est pour l’autodétermination des peuples ou on ne l’est pas. Sauf que le Maroc est loin d’être un pays « facile » quand il s’agit de son intégrité territoriale et l’Algérie est le premier pays à le savoir.
Quant on voit les diplomaties, américaine, espagnole, allemande et bientôt la française changer de cap sur ce point, grâce il est vrai à un deal maroco-israélien, il faut s’attendre à ce que des pressions énormes seront à coup sûr exercées sur Carthage pour qu’elle rétropédale comme toujours, dans ce dossier aussi. D’ailleurs l’histoire du communiqué retiré, prouve la panique qui avait saisi les conseillers, peu rompus à ces délicates affaires, s’ils existent.
Isolationnisme d’un autre temps
L’isolationnisme est une doctrine, qui stipule que l’Etat qui l’adopte n’intervient jamais, ni militairement ni diplomatiquement dans les affaires d’autres pays. Seules les relations économiques avec d’autres Etats comptent. Elle est aussi appelée la doctrine Monroe du nom d’un président américain.
Le discours de KS évoque souvent cette doctrine sans la citer quant il répond aux multiples ingérences dans nos affaires intérieures. Car un pays isolationniste refuse catégoriquement toute forme d’ingérence.
Sauf que le monde a changé et que les multiples liens qui unissent les Etats, aussi bien économiques, politiques, sociaux, culturels et même diplomatiques et militaires font que les principes énoncés par la charte de l’ONU et la convention de Genève sont devenus obsolètes.
Si on les évoque, c’est pour bien les renier. Lorsque un pays est dépendant économiquement exclusivement du FMI et la BM et qu’il risque l’écroulement, il est vain d’invoquer ces principes du droit international, qui ont été instaurés pour servir uniquement les plus puissants. Alors qu’on sait qui commande ces institutions.
Notre souveraineté perdue depuis 2011, ne peut être recouverte qu’après de longues années de stabilité politique et sociale et qu’avec une croissance économique continue, mais elle sera toute relative. Même les puissances nucléaires ne le sont plus.
Il suffit de regarder les Etats européens transformés en vassaux dans cette imprévisible guerre d’Ukraine où les Américains sont avec les Russes les seuls maîtres du jeu. On a la souveraineté qu’on mérite et les discours donquichottesques ne peuvent plus tromper personne.
« Le discours de KS évoque souvent cette doctrine sans la citer quant il répond aux multiples ingérences dans nos affaires intérieures »
Le « printemps arabe » est passé par là et les accords signés par la Tunisie avec l’OTAN en tant que partenaire, ne nous laissent guère de marge pour agir selon notre propre vouloir. La question du « Sahara » est un exemple édifiant de l’étroitesse de notre marge de manœuvre.
Si nous sommes « libres » de recevoir qui on veut, il faut se préparer à payer la note. Le sommes nous réellement? Non et nous devons raison garder dans cette affaire et œuvrer pour limiter les dégâts.
Entre isolationnisme et interventionnisme, c’est un mauvais choix en politique étrangère. Nous ferions mieux de revenir à une politique plus prudente et plus axée sur le renforcement des liens avec tous les Etats frères ou amis. Tout en fléchissant l’échine quand il le faut, pour ne pas être obligée de la courber.
Un vieux dicton marocain dit : « Il faut toujours baiser la main que tu ne peux couper! » Auquel un autre dicton, tunisien cette fois-ci, répond : « Il faut toujours saisir le bâton par le milieu! »