A l’heure où l’économie va mal et que le chômage bat son plein, un tour d’horizon chez les incubateurs de projets d’entreprises créatrices d’emplois fait ressortir que l’Etat manque de vision en la matière et entrave la création d’emplois.
Entretien avec Adel Beznine, coach expérimenté de l’incubation de projets d’entreprises.
Quel est le secteur des structures dites d’incubation de projet d’entreprise ?
Adel Beznine : On parle généralement d’accompagnement de projet. Soit un accompagnement financier, soit un accompagnement business, de gestion. Dans le panorama actuel ou ce qu’on appelle l’écosystème tunisien, certains sont spécialisés dans l’accompagnement financier, d’autres dans l’accompagnement stratégique et de conseil. En fait, on se positionne sur la chaîne de création d’entreprises à différents niveaux. Cela peut être au niveau des idées, ou de la création, ou de la croissance de l’activité ou de son développement.
Les différentes structures sont distinguées selon deux axes : l’accompagnement financier et l’accompagnement selon la durée de l’accompagnement, notamment pour le développement de l’activité.
Où se positionne AFKAR ?
AFKAR, comme son nom l’indique, est un incubateur au stade des idées. Nous venons de clôturer notre mandat avec les partenaires qui nous ont fait confiance, notamment la fondation suisse DROSOS, l’Agence française de développement, et d’autres, tous présents, ces dernières années, pour que nous puissions apporter de la valeur aux projets que nous accompagnions. Nous faisons également de l’accompagnement à travers le conseil et le réseau.
Peut-on parler en termes de succès et d’échecs des incubations de projets ?
Oui, on peur parler de mesures d’impact. AFKAR n’est pas une entreprise mais une fondation. Donc notre impact initial repose sur trois éléments. Le premier c’est le volume d’accompagnement de projets. Le deuxième est l’inclusion de la femme. Je crois qu’on est à 40% d’entrepreneures femmes. Enfin, troisièmement, c’est l’impact en termes de créations d’emplois via ces projets d’entreprises. Tous ces chiffres sont sur notre page Facebook, puisque nous venons de sortir notre rapport le 1er septembre.
Quelles sont les raisons objectives et subjectives des échecs des entreprises, une fois qu’elles sont passées par la période d’incubation et de conseils avisés ?
L’écosystème tunisien est hostile à l’entrepreneuriat : le cadre juridique contraignant se conjugue avec la lenteur administrative, la complexité des procédures, la non-équité fiscale, les verrous de toutes sortes, tout cela entrave la création et le développement de projets. Le deuxième obstacle est le manque de financement dans la chaîne de production. Enfin, troisième obstacle, le manque de culture entrepreneuriale dans l’écosystème de la Tunisie.
Cela dit pour les raisons externes. S’agissant des raisons internes, on est dans les statistiques mondiales de l’échec. Généralement, par exemple, dans une association ou une entreprise, les deux ou trois membres de départ peuvent ne plus être d’accord et se séparer, avec le risque, pour le projet, de tomber à l’eau. Une autre raison de l’échec est le « market fit », une correspondance entre l’offre et la demande et qui va faire défaut. La troisième raison est ce qu’on appelle le « time to market ». C’est-à-dire que, ou bien le produit a été lancé trop tard avec une offre déjà existante et abondante, ou bien lorsque le marché n’est pas assez mature pour lancer le produit en question.
Y a-t-il, dans vos interventions, un remède général, une panacée ?
Non, parce que, même si nous pratiquons l’accompagnement en groupe de porteurs de projets, on appelle cela en cohortes, avec une vingtaine d’entreprises, et que nous proposons un collectif d’accompagnement en matière de business planning par exemple, l’apport le meilleur est en fait lorsqu’il est personnalisé par rapport à chaque projet. La plupart des structures d’accompagnement le font d’ailleurs sur un mode générique, et cela pour une raison simple : il n’y a pas suffisamment de projets pour travailler secteur par secteur.
Le secteur des incubateurs, que représente-t-il dans l’économie du pays ?
Les chiffres sont donnés par la structure étatique Smart Capital, qui répertorie et labellise les structures d’accompagnement. C’est variable. Il faut compléter cela par les chiffres de l’APII, l’Agence de promotion des investissements et de l’innovation. Là, il faut distinguer l’accompagnement purement financier, que même les banques font, et l’accompagnement hors-financement, qui peut parfois se passer d’endettement.
Existe-t-il des projets en incubation et orientés vers l’international, et quel est le futur de ces structures d’incubation ?
Oui, c’est certain, il existe des projets en cours orientés vers l’international. Pour ce qui est de la seconde partie de la question, force est de constater que le paysage a changé durant ces deux à trois dernières années : Smart Capital s’est structurée, plusieurs incubateurs ont vu le jour, d’accélérateurs et de nouveaux programmes d’accompagnement.
Mais, sachant que le business model est fragile, qu’il est difficile d’imaginer des flux de revenus pour ces structures, la plupart, à mon avis, vont disparaître.
On ne va cependant pas être loin des statistiques internationales en la matière. En tout cas, on vit une époque charnière, il y a des changements rapides de structures, mais on n’a pas vu l’émergence d’une stratégie nationale, il n’y a pas de vision globale pour l’entrepreneuriat.