Vous l’aurez compris : la pénurie que l’on constate au niveau de nombreux produits est un des sujets dominants de l’interview que nous a accordée le président de la Confédération des entre- prises citoyennes de Tunisie (Conect), Tarek Chérif.
Patron d’un syndicat patronal, mais aussi opérateur économique installé depuis de longues années dans un marché qu’il connaît bien, son évaluation est incontestablement utile. Pour lui, l’explication est, à ce sujet, on ne peut plus simple : l’Etat doit se contenter de son rôle de régulateur et libérer l’initiative. C’est non seulement logique, c’est aussi possible. Que d’opportunités la Tunisie, assure-t-il, est en train de ne pas exploiter en l’absence de ces exigences ?
Homme de terrain, Tarek Chérif n’a pas manqué de fournir des exemples d’opportunités qui peuvent changer le visage du pays et l’engager sur des voies prometteuses. Nous ne pouvions pas ne pas saisir également l’occasion d’interroger Tarek Chérif sur la pro- chaine présidence de la Conect. En clair : va-t-il encore rester à la tête de son organisation au-delà de son second mandat en novembre 2023 ? Réponse dans les lignes qui suivent. Interview exclusive
La Tunisie vit à l’heure d’une rentrée politique et sociale marquée par les pénuries sur une échelle jamais connue. C’est de mauvais augure. Qu’en pensez-vous ?
Je peux d’ores et déjà vous dire que je l’ai vécu personnellement, il y a seulement quelques jours, lors d’un déplacement à l’intérieur de notre pays. J’ai par[1]couru des kilomètres pour trouver de l’essence. Il y a des problèmes au niveau du système d’approvisionnement. Nous continuons à vivre et à fonctionner avec un système basé sur des offices publics. La position de la Conect est bien connue : ce n’est plus adapté. Nous savons que ce système est défaillant et nous continuons à l’utiliser. Pourtant, nous pouvons compenser un produit sans le gérer. Voyez ce qui se passe pour le secteur lait. Dans ce secteur, l’Etat a laissé les privés travailler sans inter[1]venir. Avec une compétition entre les opérateurs. On doit faire la même chose ailleurs. Qu’est-ce que l’Etat vient faire dans l’importation de café, de thé ou de sucre, par exemple ? C’est un anachronisme. Cela avait peut-être du sens dans les années soixante ou soixante-dix, mais certainement plus aujourd’hui. L’Etat – et c’est ce que je préconise de faire – peut lancer des appels d’offres avec un cahier des charges, avec l’exigence d’une conformité décernée par un bureau de contrôle. Il va sans dire que si l’on a le moindre problème, on peut se retourner contre ce bureau. Il faut laisser les opérateurs privés faire leur travail, car ils peuvent trou[1]ver de meilleures solutions à divers niveaux : prix, qualité, conditions de livraison, moyens financiers,…et ce, en dehors de toutes les complexités pour acquérir un produit quelconque. Prenez également le cas des bonbonnes de gaz. L’Etat les fabrique-t-il ? Là aussi, non. Cela ne l’empêche pas pour autant de les compenser. Le rôle de l’Etat consiste à booster la production, en vue évidemment d’avoir beaucoup plus d’offres. Mais aussi et parallèlement à cela, il faut donner au Conseil supérieur de la concurrence tous les moyens, les ressources humaines et les outils nécessaires pour qu’il joue pleinement son rôle au service du marché et des opérateurs. L’Etat doit simplement se contenter de son rôle de régulateur et d’arbitre et non d’opérateur. Avez-vous vu par exemple un joueur de football assurer la fonction d’arbitre ?
L’Etat se doit d’impulser pour que l’offre gagne du terrain. Il faudra, dans cet ordre d’idées, offrir aux opérateurs le financement adéquat qui va avec la réalité de leur activité. Prenez par exemple le cas de l’agriculture. Avec des crédits à des taux de 11 ou 12%, cela ne permet pas à ce secteur si important de produire pour la communauté nationale.
La preuve n’a-t-elle pas été donnée que l’Etat ne peut pas faire mieux qu’un opérateur privé, dont il a réussi du reste à assurer l’émergence ? Ne doit-il pas évoluer vers un Etat stratège qui fixe un cap et régule et ne plus assurer l’importation de produits comme le sucre ou le café ?
Tout à fait. C’est la logique. Ce sont des convictions que je porte et qui m’ont quelquefois attiré des critiques. Ce que nous vivons est du reste en contradiction avec ce qui se fait dans le monde. L’Etat a d’autres chats à fouetter. Il doit concentrer ses efforts sur d’autres missions et fonctions qu’il n’assure pas, du reste, convenablement actuellement. J’entends, par exemple, l’éducation, la santé ou encore le transport.
L’éducation, c’est là où il y a l’ascenseur social et les fondamentaux d’un pays.
Effectivement. Vous savez qu’un peuple qui n’est pas éduqué ou qui a une éducation approximative, ce n’est plus possible aujourd’hui. Les chiffres sont là et tout le monde sait les lire et les analyser. Quand le titre II passe au fil du temps de 5 milliards à 2 milliards, c’est qu’il y a problème. Il faut se réveiller, faire les réformes qui s’imposent. C’est vrai qu’il y a de la spéculation et des malversations, mais ce n’est pas tout. Cela dit, on ne pourra jamais éradiquer totalement le phénomène de la spéculation.
Extrait de l’interview paru dans le Mag de l’Economiste Maghrebin n 851 du 31 août au 14 septembre 2022