La récente « visite d’amitié » du président Macron en Algérie a scellé, officiellement, la relance de la relation bilatérale entre les deux pays. Si les crises diplomatiques entre la France et l’Algérie rythment leurs relations passionnelles, cette visite a été ponctuée par une déclaration commune scellant une « nouvelle dynamique irréversible » fondée sur un « partenariat renouvelé, concret et ambitieux ». Une relance basée sur l’identification d’intérêts communs; mais aussi sur la bonne relation personnelle entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron. Si on note des avancées notables sur des dossiers sensibles, la question mémorielle est loin d’être close.
Sujet de tension, la question de la mobilité des personnes se posait avec acuité, suite à la décision française de réduire de moitié le nombre de visas délivrés aux Algériens. Cette « mesure de rétorsion » de Paris (face au comportement d’Alger en matière de délivrance de laissez-passer par les services consulaires à leurs ressortissants expulsés par les autorités françaises) n’est plus à l’ordre du jour. La France a en effet annoncé accueillir 8 000 étudiants de plus par an et faciliter la délivrance de visas pour certaines catégories de professionnels dans les domaines des arts, de la recherche, de la culture et de l’économie.
Des progrès sur des dossiers stratégiques
En outre, avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, même si la France connaît une relative dépendance au gaz russe, un nouvel accord avec l’Algérie est stratégique. L’augmentation de l’importation du gaz algérien devrait permettre de maintenir des prix préférentiels et de sécuriser l’approvisionnement du produit en diversifiant les sources.
Enfin, la visite a consacré la volonté mutuelle de renforcer les relations bilatérales dans le domaine sécuritaire. D’ailleurs, une réunion historiquement sans précédent s’est tenue entre les deux chefs d’État. Et ce, en présence des chefs d’état-major et des responsables de la sécurité intérieure et extérieure.
La France et l’Algérie affichent ainsi un projet de coopération stratégique dans une région du Sahel dont les enjeux géopolitiques sont réels pour les deux pays (instabilité au Mali, conflit en Libye, activités de groupes djihadistes, dossier du Sahara occidental, etc.).
Les ambivalences françaises sur la question mémorielle
Cependant, la question mémorielle demeure au cœur des relations bilatérales. Mais c’est aussi une question dont la résonnance politique intérieure demeure prégnante dans un débat public où les forces réactionnaires héritières de « l’Algérie française » pèsent cruellement sur toute tentative de dépasser certains dénis constitutifs de notre mémoire collective sélective.
Ainsi, derrière un discours mémoriel qui se veut apaisé et constructif, E. Macron cultive lui-même une ambivalence sur sa vision d’un passé colonial qui continue de nourrir tension et passion politiques.
D’ailleurs les signes et expressions de l’ambivalence d’E. Macron sur la colonisation française ne manquent pas. Ils jalonnent son discours mémoriel, qui récuse toute « repentance ». Tout en appelant à regarder le passé « avec courage ». Comme si la reconnaissance de la responsabilité historique de la France supposait un pendant, une justification, voire des circonstances atténuantes.
En voyage en Algérie en février 2017 en qualité de candidat de l’élection présidentielle, E. Macron avait qualifié la colonisation de « barbarie » et de « crime contre l’humanité ». Une vision philosophiquement et moralement fondée, qui contraste avec celle déclinée quelques mois auparavant (en novembre 2016, dans les colonnes du Point). En effet, dans une interview, il considérait que la colonisation française avait permis « l’émergence d’un Etat, de richesses, de classes moyennes », qu’ « il y a eu des éléments de civilisation ». C’est l’expression de cette vision qui a provoqué une grave crise diplomatique avec Alger, après les déclarations présidentielles (tenues le 30 septembre 2021, devant dix-huit jeunes dont les familles ont toutes vécu la guerre d’Algérie) suivant lesquelles « la nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle […] » ; « La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question ». Outre la référence légitime d’E. Macron à la « rente mémorielle » exploitée par le « système politico-militaire » algérien, ces déclarations semblaient directement issues du logiciel d’un républicanisme colonial.
Un passé qui ne passe pas
S’il aime à rappeler qu’il n’a connu ni la colonisation (1830-1962) ni la guerre d’Algérie (1954-1962), le président de la République demeure politiquement contraint par les pesanteurs d’« un passé qui ne passe pas ».
Plus largement, de la quête d’une « mémoire apaisée et commune » qui inclurait toutes les parties prenantes de cette histoire (y compris les harkis et les rapatriés) se dégage le sentiment d’une tendance à la dilution de la responsabilité historique de la République coloniale.
C’est ce qui ressort de cette ultime déclaration sur les relations entre la France et l’Algérie: « C’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique ». En omettant sciemment qu’une relation amoureuse suppose un consentement mutuel, que la colonisation – page la plus importante de cette relation – s’est imposée par la force, par la violence.
L’orientation prise par le discours mémoriel d’E. Macron est manifestement liée au poids politico-médiatique d’un bloc réactionnaire tenant des « bienfaits de la colonisation ». Celui-ci nourrit ainsi une série « d’interdits politiques », comme l’ouverture de l’ensemble des archives relatives à la guerre coloniale d’Algérie …