La deuxième partie du Bulletin de la conjoncture de l’économie tunisienne souligne l’importance de la réforme du système complexe de subventions aux céréales, qui dominent les subventions des produits alimentaires.
« L’objectif de mettre l’accent sur la réformes des subventions des céréales consiste d’abord à ouvrir le débat sur l’importance de la sécurité alimentaire. Et ce, dans une conjoncture marquée par les difficultés de la Tunisie à s’approvisionner de manière suffisante en blé qui ont entraîné des pénuries de produits céréaliers et des incertitudes quant aux approvisionnements futurs », déclare Alexandre Arrobbio, responsable opérations de la Banque mondiale pour la Tunisie, en réponse à la question de leconomistemaghrebin.com relative aux motivations du choix du thème du rapport.
Et d’ajouter que la Tunisie a été confrontée au double défi de la montée des prix des produits de base et de la guerre en Ukraine qui a provoqué de très fortes tensions sur les approvisionnements de la Tunisie en blé et en énergie.
Un système complexe
En Tunisie, le système de subventions alimentaires constitue l’un des principaux facteurs de la montée des déficits commercial et budgétaire. Il ressort de l’analyse des experts de la Banque mondiale que, dans le cas du blé, le système de subventions a effectivement permis d’assurer une pression considérable sur les finances de l’Etat, de pénaliser les agriculteurs et les acteurs de la transformation alimentaire et d’entraîner une surconsommation avec à la clé des pertes et gaspillages importants.
Lors d’une rencontre avec des représentants des médias pour présenter les principaux résultats du rapport sur la subvention des produits alimentaires, Massimiliano Cali, Economiste Pays –Tunisie pour la Banque mondiale, a affirmé que les déficits proviennent essentiellement des subventions.
Massimiliano Cali a notamment mis l’accent sur la consommation des produits céréaliers en Tunisie. En effet, les subventions ont maintenu les prix du gros pain, de la baguette, des pâtes alimentaires, de la semoule, du couscous et de la farine en dessous du prix du marché. Par exemple, en 2017, le prix du pain et des céréales en Tunisie était le plus bas au monde après l’Ukraine. Les prix ont même été symboliquement réduits la veille du 14 janvier 2011 sans aucun changement depuis.
L’analyse de la Banque mondiale montre la relation négative entre le prix du pain et les quantités de blé consommées dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et du bassin méditerranéen et souligne la forte consommation des céréales en Tunisie par rapport à des pays comparables. Les prix artificiellement bas incitent à une surconsommation de céréales.
Selon le rapport de la Banque mondiale, le système complexe des subventions maintient les prix des produits céréaliers à un niveau bas pour les consommateurs finaux en contrôlant les prix tout au long de la chaîne de valeur des céréales.
Si cette structure de subventions a permis de maintenir des prix bas et stables pour les consommateurs finaux, elle a entraîné des résultats négatifs pour le budget de l’Etat, pour l’ensemble de la filière céréalière et pour la sécurité alimentaire des Tunisiens. Le système pénalise de plus en plus les agriculteurs, qui ont abandonné la culture du blé », note le rapport.
Subventions: revoir la cible
Plutôt que de subventionner les prix alimentaires, le rapport préconise de verser des allocations monétaires compensatrices aux ménages vulnérables. Ce qui permettrait d’améliorer l’efficacité du système, de réduire les coûts budgétaires et d’importation et de renforcer la sécurité alimentaire face aux chocs futurs.
Selon le même rapport, remplacer les prix subventionnés des céréales à la consommation par des transferts aux ménages améliorerait l’efficacité de la filière, réduirait le budget et les coûts d’importation et renforcerait la résilience du système alimentaire.
Le remplacement des subventions des céréales aux consommateurs par des transferts monétaires aux ménages équivalents aux augmentations progressives des prix réduirait la surconsommation et le gaspillage alimentaire et offrirait une plus grande variété de choix aux consommateurs et des possibilités de substitution entre biens consommés.
L’augmentation correspondante des prix des céréales pourrait être entièrement compensée par des transferts monétaires aux ménages sur la base de leur consommation ou de leur revenu. La part de la compensation dans les dépenses globales serait plus élevée pour les ménages à faible revenu – les céréales, par exemple, représentent environ 6% des dépenses du décile le plus pauvre et 1% du décile le plus élevé.
Le remplacement d’une partie de la consommation de produits céréaliers par la consommation d’autres biens permettrait de réduire les importations et les subventions. Cela renforcerait la résilience du système alimentaire aux chocs futurs et améliorerait ainsi la sécurité alimentaire.
En même temps, le passage de l’ensemble de la filière aux prix du marché augmenterait la concurrence et les investissements des agriculteurs et des transformateurs de produits alimentaires, avec des gains de productivité et d’efficacité. Cela permettrait également de réduire davantage les coûts fiscaux liés à l’octroi de subventions directes aux producteurs sur la base des quantités produites.
« L’objectif étant de revoir la cible de la subvention et d’éviter les risques de chocs sur les marchés internationaux », ajoute Alexandre Arrobbio. « Cette réforme est politiquement et socialement sensible. Le calendrier ainsi que la séquentialité de sa mise en place devraient être soigneusement examinés », souligne au final le rapport.