La décision prise par l’opposition de boycotter le prochain scrutin législatif prévu pour le mois de décembre prochain semble « définitive » et « irrévocable ». Alors même que le président de la République n’a pas encore publié la nouvelle loi électorale au JORT. Question de principe pour l’opposition ou simples calculs politiques de courte durée?
Ahmed Néjib Chebbi et Abir Moussi derrière les mêmes barricades ? D’une part, l’ancien nationaliste arabe et opposant notoire aux régimes de Bourguiba et de Ben Ali avant de faire la cour à l’islam politique et de rallier de facto le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. Et, d’autre part, la cheffe du parti destourien sont montés au créneau, hier mercredi 7 septembre, pour annoncer le boycott du prochain scrutin législatif prévu en décembre prochain.
Alors, s’agit-il d’une alliance inédite et contre nature entre les deux acteurs politiques à l’extrémité l’un de l’autre ou d’une simple coïncidence d’agenda ? Dans les deux cas de figure, cette décision, lourde de conséquences, est irréfléchie, voire immature. Car, en politique, il ne faut jamais insulter l’avenir.
Le diable se niche dans les détails
De quoi s’agit-il au juste ? Du fameux code électoral que notre collègue Moncef Gouja appelle, non sans malice, le « code secret ». Lequel n’est toujours pas publié au JORT. Et ce, à quelques jours seulement de la date limite où le chef de l’Etat est dans l’obligation de convoquer les électeurs pour le scrutin législatif de décembre prochain.
Le Président optera-t-il pour le vote par listes ou pour l’uninominal, comme le craignent ses adversaires ?
Dans le premier, il s’agit d’un casse-tête chinois, car les partis politiques n’auront pas le temps nécessaire pour choisir les membres de leurs listes ni ceux qui seront nommés en tête de liste.
Dans la seconde hypothèse, le système électoral uninominal majoritaire, mode de scrutin basé sur le découpage en circonscriptions électorales d’un territoire où chaque circonscription n’élit qu’un seul député, les partis politiques seront de facto écartés au profit d’un découpage territorial qui aboutira à une nouvelle Assemblée nationale à couleur régionale.
Alors pourquoi s’y aventurer, pense l’opposition, qui aura tout à perdre, rien à gagner. Sauf que la décision hâtive de boycotter les prochaines élections législatives sans que le code électoral ne soit publié relève d’un calcul politique tout à fait erroné et maladroit. Car que faire si le Président, par un coup de tête imprévisible dont il a le secret, optait pour le vote par liste, laissant l’opposition en porte-à-faux ?
N. Chebbi : mais que nous cache le Président ?
Prenant la parole lors d’une conférence de presse tenue, mercredi 7 septembre à Tunis, le chef de file du Front de salut national, Ahmed Néjib Chebbi, a déclaré que la coalition du Front de salut a pris une décision «définitive» de boycotter les prochaines élections, pour diverses raisons.
D’abord, à cause de « la monopolisation par le président Kaïs Saïed de l’élaboration de la loi électorale ». « Seulement dix jours nous séparent de la date de sa parution supposée, alors que personne n’en sait ni la teneur ni les fondements ». Alors, « qu’est-ce qu’elle nous cache? », s’est-il interrogé.
Ensuite, a-t-il poursuivi, « cette décision était intervenue dans une démarche putschiste contre la légalité constitutionnelle, chose que nous avons dénoncée depuis le 25 juillet. Elle s’inscrit dans un contexte d’exclusion et d’accaparement de la destinée du pays par une seule personne ; un processus auquel on ne peut adhérer ».
Enfin, la future Assemblée législative sera « dénuée de légalité, selon la nouvelle Constitution qui a instauré le pouvoir personnel et donné tous les pouvoirs au président de la République, tout en ôtant toute prérogative, notamment en matière de contrôle, au Parlement en devenir ». Et de conclure : « La participation à ce scrutin ne diffère en rien au décor installé jadis par le défunt président Ben Ali ».
Abir Moussi : « Nous causerons la chute du Président »
Plus virulente était la cheffe du PDL, Abir Moussi. Ainsi, lors d’un point de presse tenu mercredi 7 septembre au siège du parti, elle a ouvertement menacé Kaïs Saied de devenir « la cause de sa chute, comme cela a été le cas avec les Frères musulmans ». Car, l’actuel locataire du palais de Carthage « se maintient au pouvoir sans avoir aucune légitimité ». Constatant « qu’à cette heure, tout le monde attend la loi électorale et personne ne connaît les règles du jeu », a-t-elle déploré.
Concernant ladite loi électorale qui sera annoncée par le président de la République Kaïs Saïed et qu’elle juge de prime abord « illégale », l’avocate de son état a estimé que la promulgation de la loi électorale au cours de cette période « contredit les standards internationaux ».
Le triple non de Abir Moussi
En conclusion, Mme Moussi affirme que son parti « ne reconnaîtra pas, ne participera pas et ne sera pas concerné par les élections législatives » qu’elle qualifie de « crime d’État« . Une expression outrancière qu’elle a coutume d’ajouter à toutes les sauces, comme celle d’avoir recours aux services des huissiers pour n’importe quelle occasion.
Elle a ajouté qu’en cas d’organisation des élections législatives, il y aura « une nouvelle opération de fraude. Celle-ci vise à donner une approbation fictive à un Parlement s’apparentant plutôt à un conseil de la choura du califat ». C’est ce qu’on appelle pousser le bouchon un peu trop loin !