Chaque été, la Réserve fédérale américaine (Fed) organise un symposium de politique économique très convoité à Jackson Hole, dans le Wyoming. Il s’agit de l’une des plus anciennes conférences de banques centrales au monde, qui réunit des économistes, des banquiers, des acteurs du marché, des universitaires et des décideurs de premier plan pour discuter des questions macroéconomiques à long terme.
Si le symposium de Jackson Hole occupe toujours une place importante dans l’agenda économique des investisseurs et des décideurs politiques, cette année, l’importance de l’événement était primordiale. Pour la première fois depuis des décennies, le symposium de Jackson Hole s’est déroulé durant un processus historique de normalisation des politiques, dans un contexte d’inflation largement supérieure aux objectifs.
Il est toutefois important de noter que le symposium a suivi une période de spéculation sur un éventuel « pivot de politique » à court terme de la part de la Fed. Après des mois de resserrement monétaire agressif avec des hausses de taux successives de 75 points de base (pb) chacune, les investisseurs s’attendaient à ce que les responsables politiques soient moins offensif après la période estivale. L’opinion était que l’inflation américaine avait probablement atteint un pic en juin et que ce pic d’inflation entraînerait un pic de resserrement. En fait, les marchés ont même envisagé à prévoir des baisses de taux significatives vers la fin de 2023.
Malgré ces espoirs d’une Fed plus modérée, le ton des responsables politiques à Jackson Hole était résolument « hawkish », c’est-à-dire qu’il était orienté vers un resserrement plus agressif plutôt que vers un pivot politique « dovish » qui soutient davantage de hausses de taux et de retrait de liquidités. Selon le président de la Fed, Jerome Powell, les progrès en matière d’inflation « sont bien en deçà de ce que le Comité devra voir avant d’avoir la certitude que l’inflation diminue » et « le rétablissement de la stabilité des prix nécessitera probablement le maintien d’une politique restrictive pendant un certain temps. » En outre, Powell a souligné que les décisions futures concernant les hausses de taux dépendront des données et qu’une autre hausse extraordinaire de 75 pb « pourrait être appropriée. »
Selon nous, la Fed allait se positionner en « hawkish », en relevant les taux de 75 points de base en septembre et de 50 points de base en novembre et décembre, avant une dernière hausse de 25 points de base au début de 2023. Elle devrait ensuite faire une pause pour atteindre un taux final de 4,25-4,5 %. Trois raisons principales soutiennent notre point de vue sur les taux directeurs.
Tout d’abord, même si l’inflation aux États-Unis se modère sensiblement, elle resterait bien supérieure à l’objectif de 2 %. Par le passé, chaque fois que l’inflation américaine a dépassé la barre des 5 %, le problème de la spirale des prix n’a pu être maîtrisé avant que les taux directeurs ne soient relevés de manière ferme à un niveau au moins aussi élevé que le pic d’inflation. Nous ne voyons pas les taux directeurs dépasser le « pic d’inflation » probable de 9,1 % de juin de cette année, mais le taux final de 3,8 % que le marché évalue actuellement semble excessivement optimiste.
En second lieu, malgré le récent ralentissement, l’économie américaine reste robuste, ce qui permet un resserrement plus agressif de la politique monétaire. Le consommateur américain est particulièrement sain, les ménages présentant un bilan solide avec des niveaux élevés de liquidités disponibles (15,8 trillions de dollars). Cela soutient les fortes dépenses des ménages dans les services, les niveaux élevés d’investissements intérieurs
privés et un marché du travail tendu. Ces conditions sont susceptibles de rendre la Fed encore plus prudente avant de suspendre ses hausses de taux.
En troisième lieu, l’équilibre actuel des incitations institutionnelles stimule la Fed à se montrer plus agressive, même si des taux plus élevés risquent de provoquer un ralentissement économique plus important ou des bouleversements financiers. La crédibilité de la Fed est ternie par son incapacité à reconnaître l’ampleur du choc inflationniste existant au début de l’année dernière. Par conséquent, la Fed essaye toujours de rattraper l’inflation et s’efforce de rétablir sa crédibilité en matière de stabilité des prix. En d’autres termes, la barre pour un pivot de politique est beaucoup plus haute aujourd’hui qu’elle ne l’était lors des cycles de politique monétaire des 40 dernières années. Il est peu probable que la Fed fasse une pause avant que les taux d’inflation ne soient sensiblement plus bas pendant un certain temps.
Dans l’ensemble, les responsables de la Fed ont profité de la conférence de Jackson Hole pour redéfinir les attentes du marché en matière de hausse des taux. Il est probable que la Fed continue à pencher du côté « faucon » à court terme, car elle s’efforcera de rétablir sa crédibilité dans un contexte où l’inflation devrait rester bien au-dessus de l’objectif pendant un certain temps, alors que les fondamentaux de l’économie américaine resteront relativement solides.