A l’image d’un pays qui tangue, tel un bateau ivre, dans un océan d’incertitudes quant à l’avenir de ses enfants, le système éducatif est à revoir… en profondeur. Et la prochaine rentrée scolaire est loin d’être une sinécure.
Des chiffres qui font froid dans le dos: 67 000 élèves ont abandonné l’école en 2021, soit 300 élèves/jour en moyenne. Et encore, plus d’un million d’élèves ont décroché depuis 2010. Un chiffre énorme pour une société d’environ 12 millions d’habitants. Alors qu’un nombre élevé des élèves qui ont passé la neuvième année, entre au secondaire presque analphabètes, ne sachant ni lire, ni écrire correctement un simple paragraphe. Tandis que des manuels scolaires en langue française sont bourrés de fautes grammaticales et de coquilles. Et que des écoles privées s’affichent pimpantes pour cette rentrée scolaire. Pendant que, comble de malheur, des écoles publiques sont sans toilettes ni eau courante.
Combien faut-il encore d’exemples pour se convaincre que notre système éducatif est à revoir… de fond en comble.
Nostalgie
Pourtant, il n’y a pas si longtemps, l’enseignement était de qualité. L’Etat tunisien allouait le tiers du budget à l’éducation et à la formation professionnelle. Le Combattant suprême répétait à l’envie que la richesse se niche dans la matière grise. Résultat: selon les témoignages des générations post-indépendance, le bac tunisien était reconnu partout dans le monde. Est-ce encore le cas aujourd’hui?
Le fléau du décrochage scolaire
Dans une conférence de presse tenue, lundi 12 septembre 2022, pour faire le point sur la rentrée scolaire prévue pour demain 15 septembre, le ministre de l’Education Fethi Sellaouti lance un cri d’alarme. En martelant qu’il est nécessaire d’offrir des conditions appropriées aux élèves. En particulier à ceux qui vivent dans les zones rurales. Tout en rappelant que le nombre des décrocheurs a nettement augmenté en une année. Soit 109 mille cas d’abandon scolaire en 2022; contre 69 mille l’année dernière.
« 100 élèves quittent les bancs des écoles quotidiennement et la moyenne du décrochage scolaire sur dix ans et de 100 mille abandons ». Quelles sont les causes de ce désastre?
Le ministre attribue ce « phénomène dangereux » à de multiples raisons. La plus importante est la difficulté de se déplacer à l’école. Ainsi que la mauvaise qualité des services scolaires, notamment la restauration scolaire.
Il va donc sans dire que le décrochage scolaire touche particulièrement les zones rurales où les petits écoliers et les petites écolières marchent quotidiennement des heures dans des pistes boueuses et arrivent à l’école souvent le ventre vide. Pauvreté oblige. Qui se souvient dans les années 60 des lomja distribués vers 10h du matin au plus nécessiteux, en plus du bol de lait?
Alors quel avenir pour ces enfants presque analphabètes abandonnés à leur propre sort? Des bonnes corvéables à merci pour les fillettes. avec le risque d’exploitation sexuelle. Et la spirale du vide porteur de tous les vices, notamment la délinquance précoce pour les garçons.
L’éducation, un luxe?
Mais, ne nous trompons pas, à un degré moins, la vie n’est pas facile non plus dans nos villes. L’éducation de nos enfants est devenue un luxe.
Ainsi, les parents, lessivés par les dépenses des vacances d’été, se trouvent confrontés aux prix exorbitants des fournitures scolaires. Dont les prix ont augmenté de 15 à 20% pour la rentrée scolaire 2022-2023. C’est ce que confirme Jameleddine Dardour, président de la Chambre nationale des libraires auprès de l’UTICA.
Ainsi, aussi bien dans les librairies que dans les grandes surfaces, les prix ont littéralement explosé. A savoir des cahiers bas de gamme qui se vendent à près de vingt dinars. Sans parler des cahiers « à spirales » que certains enseignants exigent abusivement de leurs élèves; des sacs à dos à 65 dinars. Sans parler des tabliers, des jeans et des indispensables tennis « de marque ou contrefaçon » dont nos enfants sont friands. Le tout est estimé a minima à 600 dinars par enfant. Alors que dire des familles nombreuses?
Déjà des menaces pour la rentrée scolaire?
Et que dire quand à deux jours de la rentrée des classes, la Fédération générale de l’enseignement secondaire décide, hier mardi 13 septembre, d’observer un sit-in d’une heure le 15 septembre. Et plus grave, elle menace de retenir les notes du 1er trimestre et de ne pas les remettre à l’administration? Absurde et contreproductif. Pour quelles raisons?
Principalement, selon les syndicalistes, parce que le ministre de tutelle « fait assumer aux seuls enseignants les insuffisances du dispositif éducatif ».
Le ministre de l’Education « a diabolisé les enseignants et trompé l’opinion publique sur la réalité de la situation au sein de l’établissement éducatif. En dramatisant les absences pour motif de maladie dont le taux ne dépasse pas les 2,6 % par an. De même que le fait de se consacrer au travail administratif pour des raisons de santé, pour ceux qui ne peuvent continuer à travailler en salle de classe ». C’est ce qui ressort d’un communiqué de presse.
Notons que le ministre de l’Education, Fethi Sellaouti faisait savoir, lundi lors d’une conférence de presse, que son département allait procéder à une « meilleure gouvernance » de certains aspects. Notamment concernant les congés maladie dont bénéficient 4000 mille enseignants. Ainsi que les 1200 enseignants chargés d’un travail administratif et qui seront appelés à retourner en salle de classe.
Apparemment, certains de nos chers maîtres réagissent au quart de tour quand leurs privilèges sont menacés.