Allons-nous désormais vivre avec le désolant spectacle des rayons vides des supermarchés. Lesquels sont dégarnis de produits alimentaire de base, en pénurie permanente? Nos dirigeants, dans un esprit de déni, amputent la responsabilité aux circuits de distribution et à l’avidité des spéculateurs. Un raisonnement bien court qui ne trompe plus personne.
Mme Sonia, 35 ans, est une femme au foyer, mère de deux enfants. Ce matin du jeudi 15 septembre, c’est le jour J puisque elle doit préparer ses enfants à la rentrée scolaire. Mais, privée de son habituelle tasse de café, à cause de la pénurie, elle a du mal à démarrer une journée qui s’annonce bien chargée.
Et que faire pour le petit déjeuner de ses enfants puisque elle ne pouvait pas leur confectionner des cakes faute de farine et de beurre? Alors, elle se rabat sur des tranches de pain tartinées à la margarine, leur donne un bol de lait limité dans les supermarchés à deux packs par chariot. Puis, elle glisse dans leurs cartables des biscuits encore disponibles dans le commerce et des petites bouteilles de yaourt pour le goûter de 10h.
Le parcours de combattant cette mère courage est-il un cas isolé? Non, plutôt le pain quotidien de nos concitoyens. Sauf que pour les familles nécessiteuses, dont une bonne partie vit sous le seuil de pauvreté, beurre, gâteaux et yaourt relèvent d’un luxe inaccessible.
Tristes rayons, à la soviétique
Car la Tunisie est rentrée de plain-pied dans l’ère de la pénurie en produits de base. Avec des tristes rayons rappelant l’ère soviétique dans les grandes surfaces où manquent sucre, eau minérale, café, thé, lait, farine, semoule, beurre. Ce qui impacte la vie quotidienne du citoyen. Mais qui, de plus, pèse lourdement sur un pan entier des entreprises industrielles. A l’instar des usines de boissons gazeuses, de jus de fruits et de biscuiteries acculées à réduire leurs activités; quitte à mettre leur personnel en chômage technique. Ou les cafés dont certains ont baissé le rideau, faute de sucre et d’eau minérale. Car sa vente est également limitée dans les grandes surfaces à deux packs par client. Sachant que le Tunisien fait partie des plus grands consommateurs d’eau minérale au monde. Il en consomme 227 litres par tête d’habitant en moyenne.
Encore faut-il en trouver en ces jours de chaleur torride. D’autant plus que la qualité de l’eau de nos robinets a contraint les Tunisiens à ne plus consommer que les eaux en bouteilles.
Un dossier complexe
Alors, la pénurie récurrente de produits alimentaires de base est-elle à mettre uniquement sur le dos de la spéculation selon la doxa des discours officiels? La réalité semble plus complexe.
Car, en dépit des explications avancées par le ministre des Affaires sociales, Malek Zahi, fin août, selon lesquelles le pays était confronté à des pénuries, à cause des « perturbations des chaînes d’approvisionnement et la hausse des prix et des coûts du transport au niveau mondial dans le contexte de la guerre en Ukraine ». Cette situation catastrophique est due au manque de liquidités de nombreuses entreprises publiques tunisiennes. Lesquelles sont confrontées à des difficultés financières majeures, crise économique oblige.
Résultat. Dans l’attente d’un accord entre le gouvernement tunisien et le FMI, les fournisseurs de la Tunisie recourent désormais au payement préalable avant de livrer la marchandise. Tel fut le cas, à titre d’exemple, des bateaux chargés de céréales et qui avaient en mars dernier refusé de décharger toute livraison de marchandises avant d’être payé rubis sur ongle.
« Les navires chargés de céréales étaient bel et bien dans les ports tunisiens. Sauf qu’ils n’étaient pas en mesure de décharger leurs cargaisons car l’office était en difficulté financière ». Ainsi témoigne Alexandre Arrobbio, représentant de la Banque mondiale en Tunisie, cité par l’agence TAP. Voilà l’amère vérité.
Pour sa part, l’économiste Ezzedine Saïdane estime que la principale raison des pénuries actuelles est la dégradation sans précédent de la notation souveraine de la Tunisie.
Déni
Entre temps, le président de la république, Kaïs Saïed, tout occupé à concocter en catimini son code électoral pour les élections législatives prévues pour décembre 2022, ne veut pas avouer que les caisses de l’Etat sont vides. Alors il se rabat sur ces satanés spéculateurs « suceurs du sang du peuple ». Comme s’ils étaient les seuls responsables des pénuries alimentaires à répétition.
« Nous avons constaté des prix sans commune mesure avec ceux pratiqués dans le commerce. Ce qui prouve sans l’ombre d’un doute que les circuits de distribution sont les responsables ». C’est ce qu’on peut lire sur la page officielle de la présidence de la République.
La ficelle est grosse!