Rarement rentrée aura suscité autant d’appréhension, de crainte et de peur : peur de l’inconnu, de l’impensable, de l’irréparable.
La rentrée 2022-2023 est, à tous égards, celle de tous les périls. Rien dans le ciel assombri du pays ne laisse entrevoir la moindre éclaircie. Rien qui puisse éloigner le spectre d’un chaos politique et social qui pointe à l’horizon. L’exacerbation de la population, confrontée aux pénuries et à la cherté de la vie, est à son comble. Où que l’on se positionne et de quelque côté que l’on regarde, les signes de tension et de fracture présagent d’une violente explosion sociale. Le temps des illusions et de la résignation semble bien loin derrière nous. Tout est désormais motif de désaccord, d’indignation et de colère.
La rentrée scolaire, principal marqueur de notre identité nationale,
La rentrée scolaire, principal marqueur de notre identité nationale, célébrée autrefois comme une étape phare de notre désir de progrès, de modernité et d’ascension sociale, n’est plus ce qu’elle était. Le symbole s’effiloche et se perd dans les méandres d’une précarité sans fin. L’école, ravagée par le tourbillon post-révolution, suscite de moins en moins d’espoir. Elle ne porte plus ses promesses d’antan. Au lieu de quoi, elle plonge, aujourd’hui, dans le désarroi, de très larges pans de la société, incapables de faire face à la montée des charges et du prix du savoir et de l’apprentissage. Qu’est-ce à dire sinon que l’école, contre toute attente, est devenue une horrible machine à fabriquer la marginalisation, l’exclusion pour les faibles revenus, les moins pauvres et les sans-revenus des villes et des campagnes ? Retour aux temps anciens quand la sélection se faisait par l’argent, comme si, aux inégalités des revenus, il fallait ajouter les ségrégations sociales.
Les prix des fournitures scolaires brûlent les doigts et freinent désormais l’accès à l’école pour les bas revenus. L’isolement et le dénuement des écoles en milieu rural, si proche du bon Dieu et si loin des préoccupations gouvernementales, font le reste. L’enseignement de qualité, quand il existe, est devenu l’apanage des riches et des fortunés. L’école, creuset de notre intelligence collective et haut lieu républicain, creuse aujourd’hui les écarts socioéconomiques qu’elle est censée gommer. L’ascenseur social est en panne quand il n’est plus à l’arrêt. L’égalité des chances, incarnation jadis de l’école, n’est plus qu’un vague souvenir. Au demeurant et malgré de vaines tentatives de redressement comme pour se faire bonne conscience, on ne pourra prétendre au mieux qu’à un enseignement au rabais, sans véritable perspective de promotion sociale, si l’on en juge par l’intensité de l’exode de jeunes et moins jeunes, avec ou sans diplômes.
L’école a perdu son rôle d’intégration
L’école a perdu son rôle d’intégration. Chaque année, pas loin de 100.000 jeunes sont poussés vers la sortie, sans d’autres perspectives que la radicalisation ou les barques de la mort. L’ennui est que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Le pire n’est pas exclu. La flambée des prix sans compensation conséquente, l’incapacité ou la démission de l’État feront que plus de 100.000 jeunes ne termineront pas l’année ou ne répondront pas à l’appel. Ils seront sacrifiés à l’autel d’une dérégulation débridée, inhumaine et, pour tout dire, immorale et condamnable. Ils seront éjectés de l’école à cause des livres et des cahiers qu’ils ne pourront plus acheter, alors qu’ils ne mangent pas à leur faim. Les écoliers qui s’exposent à tous les désagréments, voire au danger pour se rendre à l’école en rase campagne, à cent lieues de chez eux, ont peu de chances d’aller jusqu’au bout de leur scolarité. Sans compter celles et ceux qui ont du mal à suivre le train en classe, faute de prise en charge.
Plus qu’une tache noire au fronton des premières républiques, ce sera, si on n’y prend garde, le déshonneur de la IIIe en gestation, qui vient de sortir des urnes boudées par près de 70% du corps électoral.
Au commencement… l’école.Si bien que la rentrée sociale porte les stigmates d’une rentrée scolaire sous haute tension. Quand l’école éternue, c’est toute la société qui est prise d’un accès de fièvre. L’école rythme la marche du pays. Le moindre dérèglement se traduit par d’énormes distorsions économiques et sociales. Elle est le cœur battant d’une société violentée et mise à mal par le choc de l’explosion des prix.
L’inflation, avec son cortège de pénuries récurrentes, n’est pas loin de dépouiller les individus, de les spolier de ce qui leur reste de pouvoir d’achat et de dignité. Bien des produits, et pas que de première nécessité, font des apparitions sporadiques, à doses homéopathiques, au gré de nos possibilités de paiement à l’international, réduites désormais à leur plus simple expression. Le pays n’est plus loin du défaut. Désormais, comme en temps de guerre, le rationnement et les files d’attente sont la règle.
pouvoir d’achat au plus bas sur fond de chômage
Salaires en berne, prix en folie, pouvoir d’achat au plus bas sur fond de chômage qui culmine à son plus haut niveau, alors que des entreprises peinent à recruter… Un cocktail explosif. De quoi radicaliser les revendications salariales, alors que l’économie est frappée de langueur et ne réagit plus aux stimuli souvent en trompe-l’œil. Augmenter les salaires dans ces conditions n’aura d’autre effet que de relancer la spirale inflationniste. D’autant que les revalorisations salariales n’ont pas été suivies depuis plus de 10 ans de gains de productivité. Bien au contraire !
L’orage pointe à l’horizon. Et pas la moindre éclaircie ou détente en vue. Le dialogue, qui n’en est plus un, entre le gouvernement et l’UGTT, a peu de chances d’aboutir. Les revendications de la centrale ouvrière sont aux antipodes des capacités financières de l’État. Au mieux, il ne pourra s’agir que de simples accalmies.
Le risque que la rue prenne le relais n’est pas exclu. Les ravages de l’inflation, les désagréments des pénuries des produits de base, autant que l’aggravation du chômage élargissent davantage les inégalités et amplifient la fracture sociale. Il n’en faut pas plus pour pousser à la révolte les laissés-pour-compte, maintenus au bord de la route. La politique n’a pas chômé, mais la rentrée politique n’en est pas moins réelle. Et ce ne sont pas les gesticulations, le jeu trouble des politiques, la persistance, la cristallisation, l’aggravation des oppositions, l’opacité des institutions, l’absence de visibilité et d’un quelconque consensus, fût-ce a minima, entre l’exécutif et ses pourfendeurs qui vont enrayer l’inflation et la machine à pénurie.
le pays ne peut récolter que ce qu’il a semé
Il règne dans le pays, qui n’a jamais été autant fracturé et divisé, un climat malsain, aggravé par une large crise de confiance. Difficile d’imaginer que tant de suspicion, de conflits politiques et sociaux ouverts ou latents pourraient nous réconcilier avec ce que nous avons délaissé d’essentiel : la valeur-travail. Ardente obligation, sans laquelle on ne pourra valoriser le dinar en déperdition, améliorer le couffin de la ménagère. Et donner du sens à l’idée d’une vie décente et digne. L’État, les entreprises, la société civile, l’aristocratie salariale, les vrais et les faux chômeurs doivent se convaincre de cet impérieux principe de réalité : le pays ne peut récolter que ce qu’il a semé ; il ne peut partager et distribuer que ce qu’il produit. Il ne peut disposer que de ce qu’il a fabriqué de lui-même, à moins de se donner les moyens pour payer ses importations par ses propres exportations. Un seul mot d’ordre : le travail, la rigueur et la mise en place des politiques appropriées, sinon rien.
A nous de choisir : l’inflation, les pénuries, la régression sociale et la mendicité internationale ou le compter-sur-soi, la dignité, la sobriété. Les excédents plutôt que les déficits inutiles. Le déclin ou l’émergence. Sous l’impulsion d’un État qui aura retrouvé les vertus, les fonctions et l’autorité qui doivent être les siennes.
Edito apparait dans le Mag de l’Economiste Maghrebin n 852 du 14 au 28 septembre 2022