A l’exception du vice-président d’Ennahdha, Ali Laârayedh et de l’homme d’affaires Mohamed Frikha, tous les deux placés en garde à vue; tous ceux qui ont comparu devant le pôle judiciaire antiterroriste, y compris Rached Ghannouchi, sont provisoirement « maintenus en état de liberté ». A cause d’un dossier « vide » ?
Les images qui se déroulaient sur nos écrans, hier mercredi 21 septembre 2022, étaient choquantes. On y voyait le leader du mouvement Ennahdha, R. Ghannouchi, souriant à pleines dents. Et saluant la foule de ses fidèles et les militants du mouvement. Le tout, debout dans sa limousine de luxe à toit ouvert et brandissant le V churchillien de la victoire.
Arrogance de Ghannouchi
« Ennahdha n’a rien à avoir l’embrigadement des jeunes tunisiens et leur expédition vers les zones de tension. Nous sommes contre la violence, nous en avons même été les victimes du terrorisme ». Ainsi déclarait le cheikh de Montplaisir à sa sortie du pôle judiciaire antiterroriste où il a été auditionné. Ajoutant que les accusations à son encontre et à l’encontre de son vice-président Ali Laârayedh « n’ont aucun fondement. Elles ne sont que des tentatives visant à éliminer un adversaire politique ».
Mais d’où vient ce sentiment d’impunité que Rached Ghannouchi affiche non sans arrogance comme s’il était sûr que rien ne pouvait lui arriver? Et ce, alors même qu’il vient d’être relâché à l’aube et « maintenu en état de liberté ». Après avoir été auditionné pendant 12 heures d’affilée à la caserne de Bouchoucha. Dans le cadre de l’affaire d’embrigadement et d’expédition de jeunes tunisiens vers les zones de conflits, notamment en Syrie?
Et comment expliquer qu’à part Ali Laârayedh, le vice-président d’Ennahdha, Premier ministre et ministre de l’Intérieur au moment des faits, ainsi que l’homme d’affaires et propriétaire de Syphax Airline, Mohamed Frikha, qui sont toujours placés en garde à vue, d’autres islamistes de premier plan comme Habib Ellouz ou des prédicateurs et imams ayant ouvertement appelé dans leurs prêches du vendredi les jeunes au Djihad, à l’instar de Noureddine Khadmi, ancien ministre des Affaires religieuses, Mohamed Affes et Ridha Jaouadi, ont été relâchés et « maintenus en état de liberté » ?
Rien à se mettre sous la dent
C’est que, de toute évidence, et à l’instar de l’affaire Bhiri où l’ancien ministre de la Justice fut assigné à résidence avant d’être relâché blanc comme la neige, les enquêteurs du pôle antiterroristes savent pertinemment que les islamistes quand ils étaient au pouvoir, auront tout mis en œuvre pour embrigader et enrôler plusieurs milliers de jeunes dans des groupes terroristes actifs en Libye, en Syrie et en Irak.
Mais, ces enquêteurs n’ont rien à se mettre sous la dent, les dossiers étant amputés de preuves concrètes. Après qu’ils ont été évidemment passés aux machines déchiqueteuses de papiers durant la période noire de la Troïka. Ne reste alors que les témoignages collectés par la défunte Commission parlementaire créée et vite enterrée en 2017. Ainsi que le dossier présenté à la Justice par l’ancienne députée Fatma Mseddi.
Cela explique pourquoi le comité de défense de Ghannouchi et de son vice-président crie sur tous les toits que « les dossiers sont vides » !
Affaire Bhiri bis repetita ?
Alors, allons-nous revivre le malheureux feuilleton Bhiri. Ce dernier était « soupçonné » en janvier 2022 par le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, « de terrorisme et de corruption relatifs à une affaire de délivrance de certificats de nationalité tunisienne, de passeports et d’extraits de naissance d’une manière illégale, dont une ressortissante syrienne aurait bénéficié » ? Avec son lot de kidnapping, de séquestration dans une obscure zone forestière. Son arbitraire assignation à résidence, son état de santé « entre la vie et la mort » selon son épouse… Avant qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Il est sorti en mars 2022, libre comme le vent ?
Attention à l’effet boomerang
Or, si les dirigeants islamistes, notamment son ennemi juré, Rached Ghannouchi, étaient mis sous les verrous, ce serait une victoire éclatante pour le président de la République, Kaïs Saïed. Laquelle victoire sera saluée par la majorité de Tunisiens comme une mise K.O de l’islam politique.
Mais, si par malheurs, ils étaient blanchis par la Justice dans cette affaire d’Etat, cela renforcerait la thèse du procès politique visant à écarter un adversaire de la taille d’Ennahdha.
A quelques mois du prochain scrutin législatif, et en ces temps de crise économique sans précédent, de l’inflation galopante et de pénuries à répétition de produits de base, cette hypothèse pourrait avoir un effet boomerang sur le locataire du palais de Carthage.