Ahmed Mansour était grand dans la vie. Il l’était tout autant dans la maladie. Qu’il dut affronter jusqu’à son dernier souffle avec courage, philosophie et dignité. Ces qualités et bien d’autres encore furent de tout temps les siennes, à quelque niveau de responsabilité qu’il fut et en toute circonstance.
Ahmed Mansour – il faut hélas se résigner à parler de lui au passé – était l’intégrité, la probité morale et intellectuelle et l’exigence professionnelle faites homme. Un descendant d’une lignée d’individus où le talent le dispute au patriotisme, qu’il avait chevillé au corps. Son parcours est le reflet, à chaque étape de sa vie professionnelle, d’un engagement et d’une implication renforcés dans le processus de transformation de la société et de l’émergence de l’économie nationale.
Très jeune, il intégra la Cour des comptes, porté par son idéal républicain, ses valeurs morales et éthiques. Il était déjà en campagne contre les abus, les failles d’où qu’elles viennent, et avait l’irrésistible instinct de remettre partout les choses à l’endroit.
Ce magicien des chiffres – et des lettres – n’a pas résisté au chant des sirènes et à la tentation de se joindre au corps embryonnaire des experts-comptables, dont il fut l’un des piliers. Et qu’il sut porter sur les fonts baptismaux. Ses pairs ne se sont pas trompés en l’intronisant à deux reprises. A chaque fois qu’il fallait serrer les rangs et remonter dans l’estime de la profession, des sociétés et de la puissance publique.
« Ahmed Mansour – il faut hélas se résigner à parler de lui au passé – était l’intégrité, la probité morale et intellectuelle et l’exigence professionnelle faites homme »
A la tête d’un grand cabinet d’expertise comptable, l’un des big five, il avait pour règle – un principe immuable – de se tenir à égale distance entre les entreprises qui le sollicitaient, dont il supervisait les chiffres et validait les comptes et l’Administration centrale à laquelle il semble avoir juré fidélité.
Il ne pouvait imaginer exercer ce métier sans s’imposer un devoir et une obligation de vérité, d’honnêteté et de transparence. Il abhorrait l’opacité et les artifices de calcul dont il n’arrêtait pas de dire qu’ils ne mènent nulle part. Pour aller le plus loin possible, avait-il coutume de prescrire aux uns et aux autres, il n’y a pas mieux que la transparence. Chemin escarpé certes, mais le plus sûr. La transparence est synonyme d’efficacité, d’agilité, de capacité d’adaptation et, pour tout dire, de bonne gouvernance.
Transparence et bonne gouvernance : deux points cardinaux et une vraie boussole pour se frayer une ligne d’horizon. Il créa à cet effet une association à retentissement international qui regroupait d’éminents experts acquis à cette cause. Pour prêcher la vertu et instituer une sorte de contrat moral, point de ralliement des secteurs public et privé et ultime démonstration de civisme national.
Il n’est aucun habit qui soit à sa mesure et qu’il n’ait endossé pour servir la cause de sa profession. Ahmed Mansour, l’enseignant universitaire, brillait autant que le praticien. Nulle obsession malthusienne, il voulait élargir sans cesse le périmètre de sa profession et multiplier le nombre des experts-comptables.
L’idée qu’il se faisait de la profession, de la gouvernance des entreprises et de celle de l’État lui-même, autant de sujets d’interrogation. Il ne se contentait pas seulement d’en faire la démonstration dans l’exercice de son activité professionnelle. Il tenait à les diffuser, à les inculquer aux jeunes étudiants pour qui il vouait un énorme respect.
« Ahmed Mansour, l’enseignant universitaire, brillait autant que le praticien. Nulle obsession malthusienne, il voulait élargir sans cesse le périmètre de sa profession et multiplier le nombre des experts-comptables »
Ses anciens étudiants, de l’IHEC et d’ailleurs, brillent aujourd’hui comme de vraies stars dans la galaxie de la profession comptable. Il a formé toute une génération qui participe aujourd’hui au rayonnement du pays. Ils étaient aussi nombreux qu’inconsolables à l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure. Ils n’oublieront pas de sitôt la force de ses convictions, la tonalité de son discours, son parler-vrai et juste, le poids de sa détermination jusqu’à l’obstination et le choc de son courage.
Du courage, il en avait à revendre. Au lendemain du 14 janvier 2011, il était parmi les rares à ne pas vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain, à ne pas s’écarter de ses principes moraux et de ses valeurs républicaines.
Dans le tourbillon post-révolution, sa voix, celle de la raison, n’était certes pas audible, mais elle a fini par se faire entendre. Il pouvait d’autant plus évoquer le bilan économique et social de l’ancien régime qu’il était parmi les rares à se permettre d’en dénoncer les dérives et les pratiques peu compatibles avec une saine gouvernance politique, quand les convertis de la 25ème heure se terraient ou jouaient des coudes pour s’arracher les faveurs du pouvoir déchu.
« Au lendemain du 14 janvier 2011, il était parmi les rares à ne pas vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain, à ne pas s’écarter de ses principes moraux et de ses valeurs républicaines »
Dans le tumulte sinon le Big Bang post-révolution, il s’invita à sa manière dans le jeu politique en créant son propre parti pour rassembler et fédérer patriotes et démocrates et éviter que le pays ne bascule dans le chaos et ne s’effondre. Il craignait pour l’économie, pour l’avenir de la nation. Ses peurs, ses craintes, ses souffrances prémonitoires nous rattrapent aujourd’hui. Ahmed Mansour laisse derrière lui un pays exsangue, quasiment en banqueroute, orphelin de vision et d’un vrai dessein national.
Il ne sera plus avec nous pour sonner de nouveau le sursaut. Son intelligence stratégique, son patriotisme indéfectible nous feront défaut. Sa voix nous manquera cruellement. Il laisse derrière lui un vide sidéral. Comment nous en consoler ? Comment consoler ses pairs ? Comment atténuer la douleur, la nôtre et celle de son épouse Zohra et de ses filles Anissa et Fatma ?
Paix à son âme.