Que de chemin parcouru en 14 mois par le chef de l’Etat Kaïs Saïed, plus précisément depuis son coup de force décidé, un certain 25 juillet 2021 et accueilli, à l’époque, par un grand soulagement populaire.
On savait que Kaïs Saïed avait un projet très spécial, mais personne n’avait cru qu’il allait réussir à le mettre en pratique sans rencontrer la moindre opposition digne de ce nom à part celle menée par le Parti Destourien Libre (PDL) dirigé par la coriace Abir Moussi.
Pourtant, les partisans du président de la République ont laissé entendre lors de la soirée du 25 juillet que l’action de Kaïs Saïed était dirigée contre l’Islam politique, plus particulièrement contre Ennahdha de Ghannouchi.
Le dossier des voyages dans les foyers de tension, un coup d’épée dans l’eau ?
Or, toutes les actions, censées mettre à nu les injustices et les méfaits des dirigeants d’Ennahdha se sont révélé un simple« tape-à-l’œil ». Qu’on en juge : Rached Ghannouchi a été « humilié » en le laissant « poireauter » plus de douze heures avant de l’auditionner juste quelques heures durant avant de le laisser partir « libre comme le vent ». Et d’un !…
Il en a été de même pour Habib Ellouz et Mohamed Frikha, libérés après une garde à vue et des problèmes de santé. Et de deux !
Auparavant, Mohamed El Affès a été arrêté. Il a été gardé à vue avant d’être remis en liberté alors que le plus flagrant est le cas de Noureddine Khadmi, ancien ministre des Affaires religieuses, nahdhaoui notoire et un des bras droits de Youssef El Qardhaoui qui a publiquement appelé ses adeptes à se faire exploser dans le foyer de tension en Syrie. Eh bien Khadmi a été, non seulement, libéré, mais officiellement autorisé à quitter le territoire lui permettant de se rendre, illico presto, à Doha. Et de trois !…
« Or, toutes les actions, censées mettre à nu les injustices et les méfaits des dirigeants d’Ennahdha se sont révélé un simple « tape-à-l’œil ».
Sans oublier que tous les Nahdhaouis, interrogés, en ont profité pour crier leur innocence et leur triomphe tout en se présentant en tant que victimes après avoir été, blanchis par la justice de toute accusation, notamment, Rached Ghannouchi qui a osé s’afficher à la tête d’un cortège digne d’un chef d’Etat dans une luxueuse voiture décapotable.
Ainsi, à travers ces interrogatoires, le régime a réussi, même momentanément, à faire taire les critiques concernant l’absence de bon nombre de produits alimentaires et les hausses des prix d’autres matières, alors que le pouvoir en place, le président de la République en tête, continue à évoquer le monopole et la spéculation.
Un Code électoral exclusif. Il multiplie la participation féminine par « zéro » !
En ces mêmes moments, Kaïs Saïed, d’un seul trait de crayon, a taillé un Code électoral sur mesure pour exclure les partis politiques et, surtout, éjecter, d’une manière indirecte et pernicieuse, les femmes de la scène politique en rendant leur accès au Parlement pratiquement impossible. Et encore, il s’agit d’un pseudo-parlement qui sera une simple coquille vide sans prérogatives dignes de ce nom.
Profitant de tout le « tralala » desdits interrogatoires, le chef de l’Etat a émis, il y a dix jours, le décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, un décret, jugé trop répressif et privatif des libertés.
Le décret-loi 54 fait l’unanimité contre lui…
Il est vrai que des voix s’élevaient pour réguler un tant soit peu les réseaux sociaux en vue de limiter les dénigrements et les insultes préjudiciables aux citoyens usagers desdits réseaux. Mais de là à permettre aux services officiels, à savoir les départements de l’Intérieur et de la Justice, de violer les données personnelles des gens sous prétextes, il n’y a qu’un pas que la présidence de la République n’a pas hésité à franchir.
Et comme à l’accoutumée depuis le 25 juillet 2021, ce décret-loi a été concocté en solitaire par Kaïs Saïed puisque même le président de l’instance nationale de la protection des données personnelles (INPDP), Chawki Gueddas, a affirmé dans une déclaration à une radio de la place qu’il n’a pas été consulté par le chef de l’Etat avant de publier le décret-loi en question !…
« Permettre aux services officiels, à savoir les départements de l’Intérieur et de la Justice, de violer les données personnelles des gens sous prétextes, il n’y a qu’un pas que la présidence de la République n’a pas hésité à franchir… »
De son côté, le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) appelle, purement et simplement, au retrait dudit décret-loi incluant plusieurs sanctions injonctives qui manquent de proportionnalité entre l’acte et la peine tout en considérant que les crimes d’édition ne peuvent être punissables d’une peine d’emprisonnement de cinq ou dix ans…
En résumé, les faits accomplis imposés par le Président de la République, assuré du soutien inconditionnel et sans faille des forces porteuses d’armes, sont en train de se multiplier contre la volonté de la majorité des composantes de la vie politique et de la société civile, à part, trois partis mineurs, à savoir Echaâb, le courant populaire et l’insignifiant la « Tunisie en avant ».
On y ajoutera, quand même, certains tribuns se disant les « explicateurs » des thèses de Kaïs Saïed, dont notamment le bouillant Ahmed Chaftar dont personne n’en connaît les véritables prérogatives.
A quoi jouent les chroniqueurs, anciens décideurs ?!
Sans oublier les analystes, dits chroniqueurs, dont certains occupaient des postes officiels, en l’occurrence Iyad Dahmani, un des principaux « lieutenants » de l’ex-chef du gouvernement Youssef Chahed et un des artisans de la volte-face contre feu Béji Caïd Essebsi et défenseur acharné d’un amendement électoral en 2019. Il énumérait et lisait, en personne les amendements proposés devant les députés qu’il « obligeait ou presque » à passer au vote de chaque amendement sans le moindre débat.
On citera, aussi, Tarek Kahlaoui dont personne ne connaît le vrai cursus lui permettant d’occuper, au Palais de Carthage sous les ordres de Moncef Marzouki, le poste de secrétaire général de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) avant de finir dans un poste de lugubre chroniqueur dans une radio alors qu’il se dit « détenteur » d’un couffin de diplômes des USA !
Jamais deux sans trois, on mentionnera inévitablement Riadh Jrad qui passait, du temps de Nadia Akacha au cabinet présidentiel, pour être la personne la mieux informéedu pays sachant qu’il était le fameux auteur du scoop de la tentative d’assassinat du chef de l’Etat par courrier empoisonné. Il avait même eu l’audace de fournir, en direct sur une chaîne TV de la place, des détails incroyables sur l’affaire.
La Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples entre en ligne
Et comme notre pays ne vit pas dans une bulle de verre, des critiques jaillissent, de temps à autre, de la part de certains pays ou groupes de pays dits influents et décideurs suscitant des réactions légitimes criant, justement à l’ingérence dans nos affaires intérieures et à l’atteinte inacceptable à la souveraineté nationale de la Tunisie.
Mais que dire quand c’est la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui appelle l’Etat tunisien à rétablir la démocratie constitutionnelle. Et ce dans un délai de deux ans suite à une plainte déposée par un avocat tunisien,
Dans son jugement, cette Cour ordonne à l’Etat tunisien d’abroger les décrets présidentiels n° 117 du 22 septembre 2021, et les décrets y visés n°69, 80, 109 du 26, 29 juillet et 24 août 2021 et les décrets n°137 et 138 du 11 octobre 2021 et de rétablir la démocratie constitutionnelle dans un délai de deux ans à titre de mesure de restitution.
La Cour réitère également que le fait de n’avoir pas mis en place la Cour constitutionnelle crée un vide juridique important et ordonne à l’État défendeur de mettre en place la Cour constitutionnelle comme organe judiciaire d’équilibre des institutions de l’Etat.
« Et comme notre pays ne vit pas dans une bulle de verre, des critiques jaillissent, de temps à autre, de la part de certains pays ou groupes de pays dits influents… »
On rappellera que la Tunisie a signé, le 16 avril 2017, la déclaration permettant aux ONG et aux individus de saisir directement la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Enfin et en tout état de cause, il est utile de souligner que deux hommes se sont donné la mort, l’un à Mornag, l’autre eu centre ville de Tunis, que des manifestations nocturnes de protestations se font de plus en plus sentir. Et dire qu’en décembre 2010 des émeutes généralisées ont eu lieu dans tous le pays menant à la chute du régime de Ben Ali, un certain 14 janvier 2011.
Ne trouve t-on pas qu’une ambiance de fin de règne et de déjà vu prévaut, ces jours-ci, en Tunisie ? Surtout si l’on sait que le gouvernement de Nejla Bouden, donc de Kaïs Saïed, a déjà affirmé que des réformes douloureuses seront imminentes concernant la révision des mécanismes de subventions en prévision d’un éventuel accord avec le Fonds monétaire international.