Les femmes seront-elles écartées intentionnellement et de facto de la nouvelle Assemblée issue du scrutin législatif du décembre prochain? Sinon comment interpréter autrement les conditions draconiennes et irréalistes posées aux candidats et au candidates aux législatives?
En effet, à peine publiée, la loi électorale conçue par la seule volonté du président de la République Kaïs Saïed et décidée par lui « de manière unilatérale », dixit Abir Moussi, suscite déjà des remous et des interrogations somme toute bien légitimes. Et notamment concernant la représentation des femmes dans la future assemblée.
Pourtant, il faut reconnaitre que le décret-loi n° 55 de l’année 2022 apporte quelques avancées non négligeables. A l’instar de l’introduction d’une dose de transparence quant à l’attestation fiscale et le bulletin numéro 3. Et la possibilité du retrait de confiance en cas de manquement de l’élu à ses devoirs. Ainsi que de lourdes peines prévues pour tout recours au financement étranger.
Mais, selon les observateurs les plus avertis, le talon d’Achille de la loi électorale réside dans le non respect de la parité. Alors que pourtant elle est inscrite dans la nouvelle Constitution.
Parcours du combattant
En effet, c’est une véritable course à obstacles qui rend extrêmement difficile le dépôt de candidature d’une femme désireuse de participer à ce scrutin uninominal. Et cela s’applique évidemment au genre masculin. Car, outre l’exigence de présenter un résumé de son programme électoral; elle devra être appuyée par une liste nominative, à parité hommes /femmes, de 400 parrainages d’électeurs résidant dans la circonscription.
Ainsi, les parrainages doivent répondre à la règle de parité. De plus, le nombre des jeunes de moins de 35 ans ne doit pas être inférieur à 25%.
Bref, un véritable parcours du combattant pour les femmes candidates aux prochaines élections législatives. Presque impossible à surmonter, notamment dans les zones rurales.
La preuve? Il faut réunir 400 parrains dont 200 femmes. Puis solliciter qu’ils fassent la queue dans une mairie bondée. En attendant patiemment que leur engagement soit dûment signé et légalisé. Encore une aberration bien tunisienne. Est-ce réalisable dans les faits? Alors que nos concitoyens ont l’habitude de bouder d’autres rendez-vous électoraux beaucoup plus cruciaux?
« Une offense envers la femme tunisienne »
Alors, l’homme politique, Mabrouk Korchid, originaire de Médenine, a-t-il tort d’affirmer qu’il serait « quasi-impossible pour une femme de collecter 400 parrainages dans les régions de l’intérieur de la Tunisie? » Et que la participation des électrices aux prochaines législatives est une « offense envers la femme? » Laquelle devra « se rebeller et se mobiliser pour protéger ses droits » . Il s’exprimait ainsi dans une interview accordée à Shems fm, le jeudi 29 septembre.
Pour sa part, lors d’une conférence de presse organisée mercredi 21 septembre 2022, la présidente du parti destourien, Abir Moussi, a considéré que le décret-loi n°55 daté du 15 septembre 2022 constitue « une violation flagrante des droits de la femme ». Ajoutant que les femmes membres du gouvernement, à leur tête la ministre de la Femme, « n’auraient pas dû accepter un tel texte de loi. Et elles auraient dû présenter leur démission collective du gouvernement ».
Dans le même sillage, Ala Ben Nejma, présidente de l’Observatoire Chahed pour le contrôle des élections et le soutien des transitions démocratiques, souligne « la difficulté pour la femme d’être présente au sein de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple ».
« La femme sera faiblement représentée au sein de la nouvelle Assemblée. Etant donné que les femmes candidates n’ont pas les mêmes chances que les hommes ».
Clanisme, Tribalisme, Régionalisme
« Le décret-loi électoral n° 55 pourrait aire revenir la Tunisie à l’époque du clanisme, du tribalisme et du régionalisme. Car, il débouchera sur l’élection de dignitaires. Et il ne permettra pas aux femmes d’accéder au pouvoir législatif », avertit-elle. Et ce, lors d’une conférence nationale organisée jeudi 29 septembre en cours. Laquelle avait pour thème: « Les femmes tunisiennes dans le décret-loi n° 55 de l’année 2022 ».
« La nouvelle loi électorale représente un déclin pour les droits des femmes », martèle de son côté la membre de l’association al-Karama pour les droits et les libertés, Fatma Kamoun, lors de la même conférence.
« La faiblesse de la présence des femmes aux hauts postes, dans les délégations et les gouvernorats, représente un indicateur de régression du dispositif des droits de la femme en Tunisie », déplore-t-elle.
De plus, « l’absence du financement public va impacter négativement la présence des femmes. Etant donné que la nouvelle assemblée sera constituée d’hommes d’affaires et d’influents. Alors que les femmes qui souffrent de marginalisation économique seront privées de financement public. Ce qui entrave leur candidature à l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple ». C’est encore ce qu’elle fait observer pertinemment.
Reste à savoir si la prochaine Assemblée sera réellement représentative. En l’absence en effet de la quasi-totalité des partis politiques. Lesquels ont annoncé leur décision de boycotter le prochain scrutin législatif; à l’exception d’Echaab et quelques petites formations qui n’existent en réalité que sur le papier. Et en cas de marginalisation de la société civile, notamment les femmes? Il est permis d’en douter.