Sans vouloir trop personnaliser les confrontations entre politiciens dans le sens où la logique veut qu’on privilégie le débat des idées. Celui-ci devrait prévaloir en temps de démocratie et de paix que la Tunisie est censée vivre en cette ère, en théorie, d’Etat de droit et des institutions. Force est de reconnaître que certaines personnalités parviennent à imposer leurs noms.
Au cours de ces dernières années, on citera deux noms qui ont réussi à se métamorphoser et à métamorphoser le courant qu’ils représentent.
Tout d’abord, feu Béji Caïd Essebsi qui a, en quelques mois, réussi à mettre sur pied un groupe détrônant les puissants « frérots » islamistes d’Ennahdha pourtant dirigés par le cheikh Rached Ghannouchi que toute une « machine » avait tout fait pour imposer aux Tunisiens.
Mais c’était compter sans le charisme débordant de « Bejbouj » qui a réussi le tour de force de réunir au sein du même mouvement de Nidaa Tounès de grosses têtes appartenant à des tendances gauchistes, syndicalistes destouriens et RCDistes. Ce qui lui a permis de bâtir un parti qui avait remporté, en 2014, les législatives puis la présidentielle.
Ensuite, on mentionnera la cheffe du Parti Destourien Libre (PDL), Abir Moussi qui a réussi à renverser la vapeur à raison de 180 degrés.
L’ascension fulgurante du PDL en quelques années
En effet, partie du néant suite à une descente aux enfers en 2011, avec la dissolution du RCD et une loi d’exclusion l’empêchant de participer à la vie politique jusqu’à 2015, plus précisément au divers scrutin de 2014, Abir Moussi a réussi à s’imposer au sein de sa propre « famille » malgré la présence de grands ténors.
Et depuis 2016, elle a mis sur pied un parti structuré, discipliné et où elle est presque « vénérée » jouissant d’une confiance aveugle et d’une obéissance à la limite du compréhensible. Qu’il fasse très chaud ou qu’il pleuve, ses partisans sont derrière elle malgré les répressions et les exactions dont elle fait l’objet. On se rappellera, à ce propos notamment, les rassemblements à Mejez El Bab et à Ouerdanine.
Ainsi, infatigable et grâce à des actions presque quotidiennes de sa présidente, le PDL s’est imposé comme étant le premier parti du pays. Abir Moussi se pose, désormais, comme étant la principale rivale de Kaïs Saïed qui n’a jamais, jusqu’à présent, prononcé le nom du PDL et encore moins répondu à ses attaques, de plus en plus virulentes et frontales.
Tout en multipliant les rassemblements, les « points de clarification » avec les inévitables « live »,elle est demeurée fidèle à son approche consistant à ne jamais recourir à opérations violentes. Elle a toujours insisté sur sa volonté de respecter les lois et de ne jamais répondre aux provocations, notamment celles menées par les partisans d’Ennahdha et d’al-Karama.
Actions tous azimuts sur tous les fronts
Par contre, elle a déposé des dizaines de plaintes auprès des tribunaux, auprès des différents départements gouvernementaux dont en premier lieu la cheffe du Gouvernement, auprès de la Présidence de la République. En vain dans la mesure où elle n’a reçu aucune suite.
Et puis tout, récemment, elle s’est adressée au Bureau de l’Organisation des Nations Unies à Tunis pour se plaindre de l’approche suivie par le chef de l’Etat, avec des résultats mitigés ;
Dépitée par de tels blocages et voyant que rien ne peut arrêter Kaïs Saïed, Abir Moussi a fini par annoncer sa décision de se tourner vers le « peuple » qu’elle a appelé à descendre dans la rue, le samedi 15 octobre 2022.
Choisissant cette date symbolique coïncidant avec la célébration de la Fête de l’Evacuation, la dirigeante du PDL appelle à une manifestation nationale où seul le drapeau national sera en vue avec des slogans à caractère national et citoyen et loin de tout cachet partisan.
Une marche « sismique » impliquant tous les citoyens tunisiens
Autrement dit, ses appels s’adressent à toutes les Tunisiennes et Tunisiens pour une marche « qui fera trembler le sol de la Tunisie et que rien ne pourra faire stopper », selon ses affirmations, avant d’ajouter en substance : « Même pas les matraques et les cartouches !… »
Sans préjuger de l’issue de cette action, le 15 octobre pourrait s’avérer décisif pour l’avenir du projet de Kaïs Saïed et pour l’avenir politique du PDL et de sa présidente. « Ce sera le jour de vérité », prédisent les observateurs.
Abir Moussi confirmera-t-elle son ascension en concrétisant cette impression de « popularité sans égale » comme elle ne cesse de le répéter ou alors essuiera t-elle un revers lors de ce premier examen qu’elle a provoqué, sciemment ?
Il est trop tôt pour y répondre, mais, nombreux sont les observateurs, plus particulièrement, les fans du PDL qui expriment leur conviction qu’il fallait bien opter pour ce bras de fer car rien ne semble arrêter le Président de la République dans la réalisation de son projet alors que, théoriquement, il n’a plus beaucoup de monde à ses côtés à part deux ou trois partis mineurs et quelques « explicateurs » dont le fameux Ahmed Chaftar.
Le scénario de la dernière chance face aux faits accomplis et irréversibles
En tout état de cause et au moment où le pays continue à sombrer dans les difficultés sociales, financières et économiques, nombreux sont ceux qui estiment qu’il est temps d’agir pour éviter le naufrage et sauver la Tunisie d’une situation irréversible.
Et comme l’a dit Abir Moussi, tout haut, ce que probablement des centaines de milliers pensent tout bas, l’approche prônée, jusque-là, ne changera rien dans le sens où le chef de l’Etat est en train, de foncer depuis 14 mois, tel un bulldozer vers la mise en œuvre de son « projet personnel ».
D’où la décision de changer radicalement de stratégie à savoir le recours à la rue pour donner la parole au peuple pour décider de son avenir et trancher, une fois pour toutes, la « suprématie » populaire de l’une ou de l’autre figure politique dans le pays…
Abir Moussi a clairement laissé entendre qu’elle acceptera le verdict du peuple. Mais que fera Kaïs Saïed en cas d’un éventuel désaveu populaire ?