Moody’s vient de mettre la notation de la BCT (donc de la Tunisie) à long terme (Caa1), aussi bien en monnaie étrangère qu’en monnaie locale, sous surveillance dans une optique de dégradation. Le terrain est déjà prêt puisque les perspectives sont négatives. Certes, il s’agit d’une mauvaise nouvelle, mais il ne faut pas s’alarmer.
Moody’s a des inquiétudes légitimes, à commencer par l’absence d’un accord sur un nouveau programme avec le FMI. Les risques de liquidité sont de plus en plus élevés. La position extérieure est fragile. A cela, il faut ajouter les déséquilibres budgétaires et extérieurs et les tensions sociales exacerbées par la guerre en Ukraine.
Modestes projections
L’analyse de l’agence de notation sera axée sur l’évaluation des progrès réalisés par les autorités. Et ce, pour obtenir l’approbation par le Conseil d’administration d’un nouveau programme du FMI.
En effet, c’est essentiel pour atténuer les risques de financement et de vulnérabilité extérieure. Il garantira des sources de financement suffisantes dans les années à venir pour éviter une crise de la balance des paiements et une crise budgétaire ayant des retombées sociales négatives.
Les conditions de financement interne et externe sont très serrées. Elles aggravent les risques de refinancement de la Tunisie. Moody’s estime donc que les besoins de financement bruts du gouvernement pour 2022 avoisinent 17% du PIB et qu’ils resteront supérieurs à 15% du PIB en 2023.
En l’absence d’accès aux marchés internationaux à des coûts abordables, l’agence pense que ces seuils ne peuvent être atteints que grâce au financement multilatéral du FMI. Des fonds supplémentaires seraient probablement catalysés par une large base d’autres partenaires multilatéraux et bilatéraux.
« Les conditions de financement interne et externe sont très serrées. Elles aggravent les risques de refinancement de la Tunisie »
Pourtant, le gouvernement a fait des efforts, publiant un programme de réforme en juin et concluant un accord salarial avec les partenaires sociaux pour les trois prochaines années. Cependant, le FMI chercherait des engagements supplémentaires sur d’autres réformes. Notamment la restructuration des entreprises publiques déficitaires et la suppression progressive des subventions à la consommation au profit de transferts financiers plus ciblés.
Le degré de consensus entre les parties prenantes et d’approbation du programme de réforme du gouvernement reste incertain. Les antécédents en matière de retards de réforme atténuent les attentes de succès dans un environnement politique et économique moins favorable.
Depuis le début de l’année, les réalisations budgétaires ont été relativement bonnes, avec un léger déficit budgétaire (0,3% du PIB au premier semestre). Moody’s s’attend toutefois à ce que le déficit budgétaire se creuse sur le reste de l’année. Et ce, pour atteindre 8,6% du PIB sur l’ensemble de l’année 2022.
Si un accord est signé avec le FMI, Moody’s s’attend à ce que le déficit budgétaire commence à se réduire à partir de 2023, à 6,8% du PIB. Le service de la dette publique continuerait à augmenter au cours des prochaines années, passant de 79,2% du PIB en 2021 à près de 88% du PIB à la fin de 2023.
L’accès aux marchés de capitaux internationaux restera probablement fermé en 2023. Et les perspectives de financement du secteur public resteront tributaires de la mise en œuvre en temps voulu des réformes visées par un programme.
L’extra-financier pèse lourd
Le score d’impacts de crédit ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) de la Tunisie est extrêmement négatif. Reflétant une exposition très élevée aux risques sociaux et un faible profil de gouvernance.
Alors que les transferts des Tunisiens résidents à l’étranger compensent partiellement les faibles perspectives de revenus; la capacité de l’État à répondre aux risques sociaux est de plus en plus menacée par les contraintes du bilan du gouvernement.
En outre, le profil de crédit de la Tunisie est moyennement exposé aux risques environnementaux. Avec une exposition à l’élévation du niveau de la mer dans les zones côtières et aux risques croissants liés à l’eau et à la désertification dans les régions intérieures.
Les régions côtières représentent 80% de la production totale. Ce qui explique cette exposition. La variabilité du climat, les régimes de précipitations erratiques et les sécheresses graves menacent le secteur agricole qui pèse environ 15% de l’emploi total.
Le risque climatique physique est modérément négatif. Les risques liés à la transition carbone et les risques liés aux déchets et à la pollution sont neutres à faibles. Tandis que les risques liés au capital naturel et à la gestion de l’eau sont fortement négatifs.
« La capacité de l’État à répondre aux risques sociaux est de plus en plus menacée par les contraintes du bilan du gouvernement »
L’exposition aux risques sociaux est très élevée en raison des risques liés au travail et aux revenus. La rigidité des marchés du travail et la faiblesse de la création d’emplois entraînent des taux de chômage élevés, y compris chez les jeunes diplômés.
Ces contraintes rendent difficile l’absorption de la main-d’œuvre bien formée. Ce qui contribue à des flux migratoires nets négatifs chaque année et à la fuite des cerveaux.
Par ailleurs, la gouvernance de la Tunisie est faible. Bien que l’orientation du pays vers la recherche du consensus ait été déterminante pour assurer la réussite de la transition démocratique. Le processus de prise de décision politique a été considérablement altéré ces dernières années.
De plus, les tensions sociales récurrentes entravent l’efficacité des politiques. Et ce, en réduisant le consensus politique en faveur de la réforme, y compris de la part des institutions de la société civile.
Dans le même ordre d’idées, la qualité des institutions exécutives et législatives s’est affaiblie. Et ce, du fait que les gouvernements successifs n’ont pas réussi à adopter et à mettre en œuvre un programme politique cohérent.
De même que la structure institutionnelle de la Tunisie est fortement négative. Tandis que la crédibilité et l’efficacité des politiques et la gestion budgétaire sont modérément négatives; et que la transparence et la divulgation sont neutres à faibles.
Enjeu de taille
D’après l’analyse de Moody’s, il n’y a qu’une seule chance pour éviter la dégringolade : la signature d’un accord avec le FMI le plus rapidement possible. Cela permettra d’assurer un minimum de stabilité pour les finances publiques et donnera une opportunité au gouvernement de se focaliser sur les réformes internes.
Et c’est là tout le risque. Car si ces réformes ne sont pas mises en œuvre, c’est que les tranches de la ligne de crédit FMI ne seront pas encaissées. Et la notation sera inéluctablement abaissée dans une prochaine révision.
Ce que Moody’s est en train de faire n’est autre qu’une démarche qui n’est pas propre à la Tunisie. C’est au cœur de son travail d’évaluateur de risques de défaut de paiement. Même en interne, la majorité des analystes sont d’accord sur le scénario noir qui attend le pays si les autorités ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente avec le FMI.
« D’après l’analyse de Moody’s, il n’y a qu’une seule chance pour éviter la dégringolade : la signature d’un accord avec le FMI le plus rapidement possible ».
En tant qu’agence de notation, elle doit aviser les créanciers du pays lorsqu’il y a des événements majeurs, comme cet accord tant attendu. La révision du rating de la Tunisie pourrait donc finir par une stabilité de la notation.
Toutefois, le message qu’il faut retenir c’est qu’en absence d’un accord, c’est la descente aux enfers qui attend les perspectives de financement extérieur du pays. Car il n’y aura pas la possibilité d’obtenir des financements bilatéraux ou sur les marchés.
C’est également un clin d’œil politique de la part des Américains qui ne voient pas d’un bon œil ce qui se passe à Tunis. Sinon, nous n’aurions pas vu la Cheffe du gouvernement se réunir avec les représentants des pays qui pèsent dans le vote pour les convaincre de la bonne démarche de son équipe.
C’est un exercice de taille pour Carthage et la Kasbah. Car s’il est réussi, c’est un coup de poing dans la figure des opposants du processus du 25 juillet et vice-versa.