Il n’existe pas de politique économique parfaite. Tout modèle a ses limites et crée des victimes parmi la population. Que dire alors d’un pays comme la Tunisie où la majorité des fondamentaux macroéconomiques sont fragiles et en déséquilibre. Rares sont ceux qui seront épargnés par les effets indésirables des manœuvres monétaires.
Ce déséquilibre que nous vivons depuis de longues années, nous a conduit à la situation actuelle. Certes, il y a la crise ukrainienne qui pousse les prix des matières essentielles vers le haut partout dans le monde; mais l’effet est plus intense à Tunis. L’inflation, qui est désormais à 9,1%, n’est pas un nouveau phénomène.
Avant le déclenchement de la guerre au nord de l’Europe, les prix avaient déjà grimpé de 0,7% et 0,3% respectivement aux mois de janvier et février 2022. Maintenant, il y a l’effet transversal de la révision des prix à la pompe du carburant et l’envolée du dollar. Soit deux phénomènes dont le contrôle échappe totalement aux autorités.
Et même hors produits alimentaires et énergie, donc l’inflation sous-jacente, les prix ont flambé de 7,3% depuis le début de l’année. C’est incontrôlable et les solutions type contrôle des circuits de distribution n’auront pas d’impact immédiat pour une simple raison: la composante inflation importée est devenue dominante ces derniers mois.
Du point de vue pratique, nous ne pouvons rien faire puisqu’il est impossible de les produire localement. Pour faire baisser les prix, il faut subventionner. Une solution déjà en place et qui a renvoyé les finances publiques aux enfers.
Inévitable hausse
Pour la Banque centrale, il fallait agir. Surtout que l’écart entre le Taux Directeur et l’inflation sous-jacente s’est élargi à 30 points de base. Comme attendu, ce taux a été révisé à la hausse de 0,25%. C’est essentiel pour ne pas perdre les pédales de la politique monétaire.
Pour les ménages et les entreprises endettés, cela aura un impact. C’est malheureusement l’autre face de ces décisions qui se focalisent sur les aspects macroéconomiques. C’est le rôle d’une Banque centrale. Et c’est au gouvernement d’intervenir via ses politiques sociales pour réguler l’effet de telles mesures.
En termes de croissance, à notre avis, cela aura un impact négatif mais limité. La consommation continuera, mais avec un changement dans la composition du panier. Ceux qui s’offrent des produits de luxe ne vont pas arrêter de le faire. Car les taux ont augmenté de 0,25%.
La baisse de consommation touchera plutôt les petits services et commerces, qui fonctionnent essentiellement grâce au commerce parallèle. Ils ne s’approvisionnent que partiellement auprès des circuits officiels et leur argent n’est pas déposé dans les banques.
Toutefois, l’effet majeur sera sur la qualité des flux de trésorerie des entreprises. Lesquelles devront montrer plus de souplesse dans les délais clients. Elles devront financer des cycles d’exploitation avec des ressources plus chères. A ce niveau, la hausse des taux ferait ravage.
Pour l’investissement, il est déjà en panne depuis longtemps. Nous observons plutôt des investissements de remplacement, mais très peu de nouvelles créations ou d’extensions. Qui va prendre le risque, alors que le pays connaît des difficultés? Il risque d’être dégradé par les agences de notations? Il y a des incertitudes sur les cours de change, sans oublier le flou politique.
Et les banques?
Pour les établissements de crédits, ces hausses de taux ne signifient pas nécessairement plus de bénéfices. Les PNB vont exploser, c’est certain, mais quid du coût de risque?
Si nous supposons que tous les crédits accordés le sont à taux variable. Ce qui n’est pas vrai en réalité. Cette hausse permettra aux banques de dégager 270 MTND de revenus additionnels sur une année. Ce montant pourrait être facilement compensé par le coût du risque additionnel engendré par la faillite des entreprises et leur incapacité de rembourser leurs échéances.
De plus, il ne faut pas oublier que toute hausse de taux signifie des dépôts plus chers et des coûts de ressources également. Il ne faut donc pas s’acharner sur les banques qui vont bénéficier à court terme. Mais elles risquent de le payer en termes de qualité d’actifs sur un horizon moyen.
En réalité, il n’y a pas de gagnant absolu de ces manœuvres de politique monétaire. Mais il faut faire des choix. Le coût d’une inflation ancrée dans l’économie est largement plus élevé que celui de l’augmentation des taux d’intérêt aujourd’hui. Cela fait mal, et ce n’est malheureusement que le début.