La Méditerranée n’est pas sortie de l’Histoire. Si le début de XXIe siècle est marqué par l’affirmation de pôles de puissance eurasiatiques et surtout transpacifiques, la Méditerranée garde une importance géostratégique.
L’intérêt de son espace maritime pour le commerce des hydrocarbures est conforté par la Convention de Montego Bay. Ainsi que par la 3ème conférence des Nations-Unies sur le droit de la mer. Lesquelles ne prescrivent pas de restrictions à la liberté de navigation en Méditerranée. L’absence de zones économiques exclusives préserve dans le bassin un espace de haute mer, une donnée fondamentale pour les grandes puissances.
La guerre russo-ukrainienne revêt une dimension énergétique. Une guerre hybride, dans laquelle Poutine n’hésite pas à utiliser toutes les armes dont dispose le Kremlin. Y compris « l’arme céréalière » et « l’arme gazière » (en attendant l’usage de l’arme nucléaire ?).
La dépendance de nombreux Etats européens à l’égard du gaz russe a été révélée au grand jour. Dès lors, l’un des enjeux stratégiques consiste notamment à trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. Or précisément, en Méditerranée orientale, des puissances énergétiques régionales émergent. Dans le bassin levantin, la découverte en 2009 et 2010 d’importants gisements offshore (après de vastes opérations de forage menées en eaux profondes au début des années 2000) a fait naître un nouveau pôle énergétique. Ainsi, ces découvertes en Méditerranée orientale pourraient modifier de manière significative le visage du secteur de l’énergie dans l’ensemble de la région.
L’exploitation de ces ressources gazières ne pourra toutefois se faire que si de nombreux défis et obstacles aux implications géopolitiques majeures parviennent à être surmontés.
En effet, la découverte de gigantesques réserves de gaz naturel en Méditerranée orientale nourrit les tensions entre des pays riverains. A savoir: Chypre, la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël, l’Égypte et la Libye. Elle réactive aussi les tensions géopolitiques autour de la délimitation des frontières maritimes. Ces États ont aussi cherché à se mettre d’accord sur leurs frontières maritimes respectives. Une évolution qui laisse entrevoir de véritables perspectives de coopération pour les années à venir.
Mais malgré certaines volontés de coopération en matière de partage des ressources et d’exploitation conjointe; les voisinages et les ambitions concurrentes de certains États de la région sont bien présents. Et ce, sur fond de conflits maritimes et contentieux territoriaux; en particulier entre la Turquie et la République de Chypre.
Toutefois, l’enjeu est tel que des accords sont possibles même entre ennemis. C’est le cas du Liban et d’Israël, officiellement en guerre. Mais qui sont en train de trouver un accord, par l’intermédiaire des États-Unis. Un accord pour fixer la délimitation de leur frontière maritime et lever ainsi les derniers obstacles juridico-techniques en vue de la prospection et de l’exploitation de gisements offshore.
En 2018, un accord de coopération historique a déjà été conclu entre l’Egypte et Israël. Et ce, pour l’exportation du gaz israélien vers le pays des pharaons, pour une période de plus de dix ans. Depuis janvier 2020, l’Égypte bénéficie aussi du gaz issu du gisement Leviathan via le gazoduc sous-marin EMG qui relie les villes d’Ashkelon en Israël à El-Arich en Égypte. Un accord similaire avait été signé avec Chypre en septembre 2018 pour l’installation d’un câble sous-marin. Lequel permettra l’acheminement de gaz, avant d’être réacheminé vers l’Europe. L’Égypte pourrait donc aussi devenir une puissance énergétique.
Le développement de tels projets à portée nationale, ou au mieux bilatérale, ainsi que l’attente de prix du gaz faibles devraient rendre moins probable l’essor de projets plus ambitieux, tels que les exportations vers la Turquie, la Grèce ou vers d’autres marchés européens. Ainsi l’importance de la Méditerranée orientale d’un point de vue énergétique devrait rester limitée.
Il n’empêche, les risques de tensions sécuritaires sont nourris par la mise en place d’infrastructures énergétiques et de transport. Avec la multiplication de plateformes d’extraction, de pipelines, de navires, voire de terminaux méthaniers. Soit autant de cibles potentielles par des entités étatiques ou terroristes.