Le président américain et ses collaborateurs ont bien du souci à se faire ces temps-ci. La décision de l’OPEC+ de réduire de deux millions de barils/jour la production du pétrole est ressentie comme un camouflet magistral à l’administration Biden. Un camouflet d’autant plus remarquable que la décision n’aurait jamais pu être prise sans l’aval des deux principaux producteurs du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis.
La réaction de Washington à la décision de l’OPEC+ a été furieuse au sein du parti démocrate et au Congrès où certains membres sont allés jusqu’à appeler carrément à « la dissolution de toute la relation avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ». Un groupe de congressistes démocrates ont même publié un texte incendiaire contre l’Arabie saoudite et les Emirats :
« La réduction drastique de la production pétrolière de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, malgré les ouvertures du président Biden aux deux pays ces derniers mois, est un acte hostile contre les États-Unis et un signal clair qu’ils ont choisi de se ranger du côté de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Les deux pays comptent depuis longtemps sur une présence militaire américaine dans le Golfe pour protéger leur sécurité et leurs champs pétrolifères. Nous ne voyons aucune raison pour que les troupes et les sous-traitants américains continuent à fournir ce service aux pays qui travaillent activement contre nous. Si l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis veulent aider Poutine, ils devraient se tourner vers lui pour leur défense. »
Le fiasco
Il faut dire qu’avant même l’élection de Joseph Biden, les relations entre Riadh et Washington n’étaient pas au beau fixe. Déjà dans sa campagne électorale, Biden n’a pas caché son intention de mettre en avant, une fois à la Maison blanche, les dossiers des droits de l’Homme et de l’assassinat du journaliste Khashoggi, en traitant au passage Mohammed Ben Salmane, prince héritier et homme fort du Royaume, de tous les noms.
Une fois au pouvoir, Biden a dû se rendre compte que les impératifs stratégiques l’emportent forcément sur les soucis des droits de l’homme et des considérations démocratiques. Il a dû comprendre que le schéma confectionné pendant sa campagne électorale « démocraties contre autocraties » relève des discours creux que les politiciens servent pour les naïfs et les simples d’esprit.
D’où son voyage en juillet dernier en Arabie saoudite où il fut obligé de quémander des contrats pour l’industrie d’armement américaine et une politique pétrolière pro-occidentale à Mohammed Ben Salmane, celui-là même qu’il traitait d’assassin peu de temps auparavant.
Le fiasco du voyage de Biden en Arabie saoudite et son incapacité à convaincre les Saoudiens et les Emiratis de s’opposer à une réduction aussi massive de la production pétrolière mondiale, sont de nouveaux indices du détachement progressif des Etats arabes du Golfe de l’influence américaine. Aujourd’hui, on est bien loin du temps où les désirs de Washington étaient des ordres à Ryad.
Un monde nouveau, multipolaire, pointe à l’horizon
Le constat qui s’impose est que plus les relations entre les Etats-Unis et les pays du Golfe se détériorent, plus celles entre ces derniers et la Russie se développent. Il est clair pour tous que l’inimitié entre Joseph Biden et Mohammed Ben Salman n’a d’égale que l’amitié qui lie ce dernier à Vladimir Poutine.
Deux indices, les plus récents, viennent prouver aux yeux du monde que l’Arabie saoudite et les Emirats sont de plus en plus loin de Washington et de plus en plus proches de Moscou. Il y a quelques jours, Mohammed Ben Salmane a réalisé ce qu’aucun autre dirigeant n’aurait pu faire : convaincre Vladimir Poutine de relâcher les mercenaires occidentaux dans les prisons russes, y compris le mercenaire marocain, sur lesquels pesait la condamnation à mort.
Le mercredi 5 octobre, et alors que Washington remuait vainement ciel et terre pour isoler la Russie, les Emirats ont envoyé une délégation de femmes d’affaires émiraties à Moscou pour un congrès avec les femmes d’affaires russes. Un congrès qui a abouti à la création de « l’organisation internationale des femmes d’affaires » …
Le vendredi 30 septembre, le projet de résolution relatif à « l’agression contre l’Ukraine » présenté par les Etats-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU a été confronté au véto russe. Normal. Mais le plus frustrant pour Washington est que leur projet a vu quatre membres s’abstenir : le Brésil, la Chine, le Gabon et l’Inde.
Autant de signes qui nous amènent à penser que l’hégémonie globale américaine sur la planète vit ses derniers jours et qu’un monde nouveau, multipolaire, pointe à l’horizon.