Que se cache-t-il derrière la volonté présidentielle d’amender le décret-loi n° 55 du 15 septembre 2022 relatif au code électoral, en pleine période électorale, et en dépit des critiques émises par les partis politiques, la société civile et même l’ISIE ? Analyse.
Pourquoi notre Président ne tient-il pas compte des erreurs du passé ? A titre d’exemple, il y a à peine quelques mois, la première mouture de la nouvelle Constitution, diffusée le 30 juin, comportait pas moins de 46 fautes et coquilles, sans parler de formules ambigües qui peuvent être sujettes à moult lectures et interprétations. Or, il aura fallu une version amendée, laquelle était publiée quelques jours plus tard, précisément le 9 juillet 2022, au JORT en lieu et place de la première version. Du jamais vu dans les annales de la République.
Comment expliquer cette bavure monumentale ? C’est que la nouvelle Constitution a été écrite et conçue en solo, sans consultation aucune ; il est par conséquent tout à fait prévisible que comme toute œuvre humaine, des fautes aient glissé dans le texte fondamental qu’il a fallu corriger à la va-vite!
Trucage et argent sale
Bis repetita. A l’instar de l’amendement de la Constitution et en pleine période électorale, le président de la République s’est soudain aperçu, à peine trois semaines de la parution du décret-loi n° 55 du 15 septembre 2022 dans le Journal officiel, que ce texte également rédigé par ses propres soins ouvre la voie à «des manipulations des parrainages» au sujet de certains candidats à l’élection de la future Assemblée.
En effet, lors d’une audience accordée vendredi 7 octobre 2022 à la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, le chef de l’Etat a estimé qu’eu égard aux pratiques «illégales» concernant les parrainages, et vu que les parrainages sont devenus comme «une marchandise qui se vend et s’achète» ; il s’avère «nécessaire d’appliquer scrupuleusement la loi à pied d’égalité pour tous». Et ce, afin de mettre un terme à «l’argent douteux», d’autant plus qu’il s’est avéré que nombre des membres des conseils locaux ne se sont pas conformés au rôle qui leur est dévolu.
«La législation actuelle en vigueur n’ayant pas réalisé ses objectifs, le devoir national sacré nécessite son amendement afin de mettre un terme à ce phénomène condamnable», ainsi martelait le président de la République sur un ton martial.
A savoir que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) avait annoncé dans un communiqué rendu public jeudi 6 octobre 2022 que des suspects ayant tenté de frauder pour obtenir des parrainages en offrant des contreparties pécuniaires ont été placés en garde à vue après l’ouverture d’une enquête par le ministère public.
L’ISIE se rebiffe
Grosse surprise et revirement spectaculaire. Le docile président de l’ISIE, Farouk Bouasker, généralement en garde-à-vous devant les desiderata de Carthage, a clairement annoncé qu’il valait mieux ne pas apporter actuellement des amendements à la loi électorale.
«Le processus est déjà lancé et 140.000 parrainages ont été enregistrés, on peut agir sur des détails techniques pour limiter les fraudes, mais il est peu probable qu’on abandonne totalement les parrainages. Par conséquent, il vaut mieux ne pas toucher à la loi électorale à ce stade». Ainsi précisait-il hier lundi 10 octobre 2022 sur les ondes d’IFM.
Et d’ajouter d’un air sérieux : «Si des réajustements techniques doivent être opérés, il faut le faire après examen de la situation et en prenant en considération l’avis de l’ISIE». Tiens, depuis quand le Président, enfermé dans sa bulle, tient-il compte de l’avis de quiconque, y compris de l’ISIE dont il a nommé les membres ?
Tollé
Faut-il rappeler que de nombreux partis et associations avaient déjà mis en garde contre le phénomène de l’achat des parrainages, sans que le Président ait daigné prêter une oreille attentive à leurs observations et réserves ?
Ainsi, le parti Al Jomhouri a affirmé, dans un communiqué rendu public dimanche 9 octobre 2022, que la modification de la loi électorale dans cette circonstance particulière est «un aveu de la part de l’autorité de son échec et de sa confusion politique et un signe que le pays entrera dans une phase de chaos législatif, avec un règne individuel sans contrôle».
Pour sa part, la présidente du Réseau Mourakiboun, Raja Jabri, a estimé, samedi 8 octobre 2022, que la décision du président de la République d’amender le Code électoral dans ce timing «manque de sérieux».
«Ce qui vient de se passer est directement lié au décret-loi numéro 55 amendant le Code électoral. Cet amendement a été décidé de façon individuelle et les experts dans le domaine des élections parmi les composantes de la société civile n’ont pas été consultés», a-t-elle affirmé, samedi 8 octobre, sur les ondes de Mosaïque.
Idem pour le président de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE), Bassem Maâtar. Lequel a déclaré le 8 octobre sur Mosaïque FM que l’amendement du Code électoral durant l’année où seront organisées des élections «ne respecte pas les normes internationales».
«Le chef de l’Etat a choisi, depuis le début, un processus individuel et non participatif. Nous sommes en train de récolter les fruits de ce choix. Les prétextes d’amendement du Code électoral semblent en partie fabriqués», a-t-il estimé.
Effet boomerang
Au final, n’est-il pas tentant de penser que la volonté présidentielle d’assécher le terreau de l’argent sale soit plutôt motivée par le constat amer que, dépourvus d’argent et de logistique d’un parti politique structuré, les partisans du Président ont du mal à avoir les fonds nécessaires pour la collecte des parrainages. Et que, in fine, le Code électoral a eu un effet boomerang ? Il fallait y penser.